lundi 28 juin 2010

Le royaume de Tobin - Lynn Flewelling

Quatrième de couverture
Dans le royaume de Skala régi par des reines-guerrières, le prince Erius s'empare du pouvoir et élimine toutes les prétendantes au trône, sauf une, sa sœur enceinte de jumeaux. À leur naissance, deux mages et une sorcière sacrifient l'enfant mâle et transforme la petite fille en lui donnant l'apparence de son frère mort. C'est le seul moyen d'assurer l'avenir du royaume désormais ravagé par les épidémies, les famines et menacé par de puissants ennemis. Élevée comme un garçon, Tobin grandit en ignorant sa nature et sa véritable destinée.

Alors, sachez d'emblée que cette saga est un véritable coup de cœur pour moi. Non seulement parce que j'en ai beaucoup aimé faire la lecture, ce qui est la moindre des choses que l'on peut supposer d'un coup de cœur, mais également parce que je me suis lancé dans cette trilogie sans en rien savoir, simplement guidé par mon instinct, qui est loin d'être infaillible. Mais cette fois-ci, il a bien fonctionné. Je me fais l'effet d'être un chercheur d'or qui découvre, au milieu d'un tas de cailloux sans intérêt, une pépite.
J'ai été tenté d'établir une comparaison entre l'œuvre de Flewelling et celle de Robin Hobb. Mais j'ai vite compris les limites d'un tel exercice. L'un des seuls vrais points communs entre les deux auteures c'est d'être des femmes. Et, à moins d'être persuadé qu'il existe une littérature féminine à opposer à une littérature masculine, sans aucun pont entre les deux, cela fait bien mince. Tout juste pourra-t-on dire que, à l'instar de Hobb, Flewelling a le souci du détail, le goût de la description et un certain talent à nous livrer les secrets les plus intimes de ses personnages. Mais, n'en dirions-nous pas autant de Georges Martin ? La comparaison devra sans doute s'arrêter là. D'ailleurs, ne comptez pas sur moi pour vous garantir qu'ayant aimé ce qu'écrit Hobb vous aimerez cette saga de Flewelling, ni que, ayant détesté les textes de l'une vous détesterez ceux de l'autre. Je ne pourrais rien vous conseiller d'autre que de tenter l'aventure et je vais tâcher de vous donner dans les lignes qui suivent des éléments susceptibles de vous aider à vous décider. Ou pas.
Et pour commencer, j'invite tous ceux qui : aiment les grandes batailles épiques, préfèrent l'action aux dialogues, ne peuvent envisager un roman de fantasy sans sa cohorte de gros bourrins dopés à la testostérone; j'invite tous ceux-là à passer leur chemin. Et a lire du Gemmell.
Parce que en héros viril, Tobin ne fait pas tout à fait l'affaire. Puisque c'est une fille transformée, par sorcellerie, en garçon. C'est l'une des bonnes trouvailles de Flewelling et qui lui permet d'aborder nombre de sujets comme : l'identité, la confusion des sexes, l'ambigüité des sentiments, l'homosexualité, la sexualité, le poids du secret ...
Mais si Tobin est incontestablement le héros (héroïne) de l'histoire, il n'en est pas moins accompagné d'une galerie, ma foi bien étoffée, de personnages. On pourrait se croire (presque) dans Le Trône de Fer. Et cela ajoute incontestablement beaucoup de réalisme à la série. Car autant on ne peut imaginer l'histoire d'un royaume sans son roi ni ses nobles, autant on ne peut l'imaginer non plus privé de ses écuyers, de ses pages, de ses capitaines d'armée, de ses domestiques ... Et c'est ainsi qu'une pléthore de personnages prennent vie sous la plume de Flewelling. Le casting est assez impressionnant.
En particulier pour certains groupes bien fournis et dans lesquels quelques personnages ne jouent qu'un rôle secondaire mais dont la présence donne beaucoup de corps au récit. Je pense notamment aux Compagnons du Roi ou à l'Orëska (sorte de fédération des magiciens).
Aucun des personnages n'est tout à fait blanc ou tout à fait noir. La plupart d'entre eux ont une part d'ombre, ne serait-ce qu'infime. D'ailleurs, certains parmi les "gentils" ont des choses à cacher. Même Tobin, qui est en apparence le type parfait du héros positif, montre parfois sa détermination de façon musclée et peut, à l'occasion, se révéler impitoyable. Seul petit bémol dans la composition des personnages, j'ai trouvé que le principal "méchant" n'était pas assez présent. Même si ses manigances ont des conséquences manifestes. On pourrait croire que Flewelling ne s'est pas assez intéressé à un personnage aussi noir. Elle a sans doute préféré montré comment ses agissements sont de nature à pervertir la meilleure part des personnages que sa malveillance à pris pour cible.
Quant à l'histoire en elle-même, elle bénéficie de quelques jolies trouvailles de l'auteure qui lui confère une certaine originalité même si, dans l'ensemble, par bien des aspects, elle reste classique. Il y a essentiellement ce dont j'ai déjà fait mention, à savoir la métamorphose, dès sa naissance, de Tobin, devenue un garçon. Les premières conséquences sont tout d'abord les problèmes d'identité de Tobin qui, ignorant tout des circonstances exactes de sa naissance, est persuadé d'être un garçon. Sauf qu'il a très envie de jouer à la poupée ce qui est bien perturbant, surtout lorsqu'on a un père qui le prend très mal. Deuxième conséquence assez indirecte mais néanmoins d'importance, c'est l'existence de l'esprit malveillant du frère sacrifié de Tobin et qui ne cessera de le hanter. Entre ces secrets qui pourrissent la vie de pas mal de gens et ce fantôme encombrant, l'atmosphère du roman se révèle finalement assez lourde. Pour le coup, on est assez loin de la (relative) légèreté des écrits de Hobb. Sans compter que la révélation du véritable sexe de Tobin pourrait lui coûter la vie, le roi en place étant prompt à se débarrasser de toute sa parentèle féminine.
L'écriture de Flewelling est agréable et sa lecture est déconcertante de facilité. La traduction est assurée par Jean Sola celui-là même qui a assuré la traduction du Trône de Fer. Je sais que d'aucuns n'apprécient pas son travail. Tout juste pourrais-je lui reprocher, dans le Flewelling, l'usage de termes familiers, très familiers, voire argotiques, tant dans le texte que dans certains dialogues et qui sonnent un peu faux, qui n'ont pas l'air d'être à leur place. J'ai l'intuition (mais aucune certitude) que le texte original ne présente pas la même familiarité. Mais en dehors de ces écarts de langage, le texte français m'a semblé plutôt réussi.
Même si, ainsi que j'ai déjà pu le dire, l'action n'est pas vraiment au cœur du roman, il n'en est cependant pas dénué et les scènes de combat ou de bataille, si elles sont assez rares, sont à chaque fois parfaitement bien rendues et, ce qui n'est pas si fréquent, assez faciles à suivre. En tout cas, il se passe toujours quelque chose au royaume de Tobin, même si ce n'est parfois que dans les têtes des personnages. L'auteure nous gratifie en outre de surprises assez nombreuses, les évènements prenant souvent des tournures inattendues et bon nombre de personnages disparaissant prématurément au regard des codes habituels. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le récit est tout sauf convenu.
En résumé, Le royaume de Tobin est une œuvre forte, belle, intelligente mais aussi sombre et pas dépourvue de violence. Agrémentée d'une magnifique galerie de personnages fort attachants ou diablement détestables. Et si, tout compte fait, Flewelling ne se rapprochait pas tant d'une Robin Hobb que d'un Georges R.R. Martin ? Je sais, c'est gonflé ce que je dis, mais j'assume. Je ne suis pas sûr d'avoir trouvé les mots pour rendre le plaisir que j'ai eu à lire cette histoire et c'est dans un moment comme celui-ci que je prend véritablement conscience des limites de l'exercice que je m'impose à chacune de mes chroniques. Qu'il est difficile de traduire en termes les plus objectifs possibles les sentiments, si subjectifs par nature, que nous a procuré la lecture d'un livre. Voilà, j'ai aimé. Beaucoup. Que dire de plus ?

Ah bah si. Que c'est une trilogie en six volumes (cherchez l'erreur. Merci encore aux éditeurs français) et que ça n'a donc rien d'insurmontable à lire.

dimanche 27 juin 2010

La prophétie du royaume de Lur, tome 1 - Karen Miller

Quatrième de couverture
Au royaume de Lur, une immense barrière magique protège les habitants des ravages du sorcier Morg depuis six cent ans.
Les Doranens gouvernent le royaume grâce à la magie, tandis que les Olkens ont interdiction de l'utiliser ... sous peine de mort.
Le jeune Asher a quitté sa famille de pêcheurs pour faire fortune à Dorana, la capitale. Très vite, il devient l'assistant du prince Gar et apprend la vie de château. Ses origines modestes et sa gouaille lui valent l'inimitié de bon nombre de nobles à la cour. Heureusement dans l'ombre, ses amis veillent sur lui. Ils font partie d'une confrérie secrète qui attend l'avènement d'un mage innocent qui sauvera Lur des derniers jours. Mais Asher a déjà bien du mal à éviter les pièges que lui tend, jour après jour, l'entourage de la famille royale.

J'ai hésité avant de faire la chronique de ce livre. Après tout, je n'ai lu que 118 pages sur les 740 que comprend ce premier tome. Mais ces 118 pages ont été amplement suffisantes pour me convaincre que ce roman n'était pas fait pour moi. Loin s'en faut. Alors je me dis que si par hasard, quelqu'un passant dans le coin et qui partagerait avec moi un minimum d'exigence (parce que franchement je peux aussi me montrer très conciliant) et qui serait, de surcroit, tenté par l'aventure (personne n'est à l'abri d'un moment de faiblesse : fatigue, extrême euphorie ou au contraire désespoir profond ...), mérite que je l'avertisse de ce qui l'attend avant que de commettre l'irréparable.
Parce que ce roman possède au dernier degré LE défaut pour lequel j'ai le moins d'indulgence : l'invraisemblance. Pourtant, dirons certains qui lisent avec assiduité mes chroniques, vous fîtes preuve de tolérance, voire de complaisance, face à des œuvres peu soucieuses de crédibilité. Sans doute. Mais il a fallu, soit que le manque de vraisemblance reste à un niveau acceptable, soit qu'il soit contrebalancé par des qualités supérieures qui permettent de fermer pudiquement les yeux (bonne histoire, personnages attachants ...).
J'ai bien peur que dans le cas qui nous occupe, rien ne vient sauver l'entreprise d'une certaine mièvrerie. Et c'est la mâchoire serrée, le ventre en vrille, les mains tremblantes que je suis parvenu à venir à bout de ces quelques cent pages. Jusqu'au moment où je me suis avéré incapable d'aller plus loin.
Mais jugez-en par vous-mêmes.
Or donc Asher, jeune pêcheur qui n'a jamais quitté son village natal, débarque à la capitale sans un sou en poche. Il lui faut d'urgence un travail. Par un heureux hasard, c'est ce jour-là qu'il croise la route du prince des lieux qui traverse le marché à cheval. Cheval qui choisit ce moment précis pour se cabrer (trop fort le cheval). Asher, qui n'a pour ainsi dire jamais approcher un cheval de sa vie, parvient à maîtriser l'animal (trop fort Asher). Et malgré son insolence (celle d'Asher, pas du cheval), le prince lui offre un travail (trop fort le prince). Dans les écuries, cela va de soi. Comme il va de soi que Asher se révèle non seulement compétent avec les chevaux mais de surcroit, un excellent cavalier.
Ca va, vous n'êtes pas trop énervés ? Je continue ?
Asher continue donc son petit bonhomme de chemin. Faisant montre de la même insolence à peine croyable. Non, pas croyable du tout à vrai dire. Je ne suis pas très pointilleux quand il s'agit de respect, mais à la place du prince, il y a belle lurette que je l'aurais fait exécuter, le drôle. Mais non, au lieu de ça, son altesse demande un beau jour à Asher de l'accompagner. Et pour aller où, je vous le demande ? Ni plus ni moins qu'à la cour de justice du prince, où ce dernier demande, à la fin de l'audience, l'avis de notre pêcheur.
Bon je sais pas vous, mais pour moi, cela a été la goutte d'eau qui met le feu aux poudres, l'étincelle qui fait déborder le vase (1).
C'est ainsi qu'ayant atteint le seuil au-delà duquel j'étais incapable d'aller, je décidai d'arrêter là. D'autant que le texte ne possède aucune qualité propre à autoriser une lecture plus poussée. En dehors d'un style facile à lire (mais comme 90% de la production fantasy), les personnages ne sont pas particulièrement attachants.
A éviter donc, encore une fois de mon point de vue. A moins qu'on apprécie particulièrement des Terry Goodkind ou autres Mercedes Lackey.

(1) Ceux qui seraient tentés de me dire :"non, c'est le contraire", peuvent lire La prophétie du royaume de Lur. Ils sont mûrs.

jeudi 24 juin 2010

Le portrait du mal - Graham Masterton

Quatrième de couverture :
Ils étaient prêts aux pires atrocités pour conserver l'éternelle jeunesse. Un portrait de douze personnages au visage en décomposition... La toile est l'œuvre d'un certain Waldegrave, ami d'Oscar Wilde et passionné d'occultisme, mais elle est sans valeur et plutôt médiocre. Alors pourquoi la mystérieuse Cordelia Gray veut-elle à tout prix s'en emparer ? Quel est le secret du portrait ? Qui sont ces douze personnages ? Vincent Pearson, l'actuel propriétaire du tableau, découvre un lien entre cette œuvre démoniaque et une série de meurtres particulièrement abominables qui secouent la Nouvelle-Angleterre depuis quelques mois.

C'est le premier livre que je lis de Graham Masterton, auteur dont j'ignorais tout. Ne me traitez pas de barbare inculte : d'autres s'en sont déjà chargé. Et encore ne dois-je d'avoir lu ce livre qu'au hasard le plus total, ma femme l'ayant acquis pour sa consommation personnelle sans en savoir plus que moi sur Masterton (et ma femme n'est pas une barbare inculte). Après que ma douce et tendre ait joué les éclaireuses dans cet environnement littéraire nouveau pour nous, je me lançai à l'assaut du roman, rassuré par une épouse qui me garantissait que le seul risque que je courais, était d'apprécier un ouvrage qu'elle avait littéralement dévoré. Et quand mon éclaireuse, en qui je place une confiance totale forgée par des années de lectures communes, me dit que tout danger est écarté, alors je fonce tête baissée.
Et force m'est d'admettre que, en dépit d'un certain nombre de défauts sans réelle incidence d'ailleurs sur le plaisir de la lecture, le livre ne se pose que contraint et forcé, chaque soir, vaincu par le besoin de sommeil, ou bien après avoir atteint le point final.
Pour dire deux mots et nous vite débarrasser de ces petits défauts que j'ai mentionnés, je parlerai tout d'abord de l'habitude, quasi systématique de l'auteur d'employer des noms de marque en lieu et place de noms communs. Il n'est par exemple jamais question de voitures mais de Fleetwood (Cadillac), de Bentley, de Cherokee et autres Volkswagen. Exit également les termes de vin, chemise, chaussures, montre remplacés par leurs équivalents commerciaux. Et, bien entendu, s'agissant d'un roman dans le milieu de la peinture, il n'est jamais question de tableaux mais de Renoir, de Degas, de Sisley ... Le procédé, même s'il est utilisé ad nauseam, fini par devenir drôle et tous comptes faits pas si gênant. Autre léger défaut, les descriptions des personnages sont assez froides. Pour chacun d'entre eux c'est, de façon quasi systématique, une simple liste assez rébarbative des différentes parties du corps accompagnées d'adjectifs de couleur ou de forme, là où la plupart des autres écrivains utilisent des portraits par petites touches, prenant parfois plusieurs pages mais qui s'intègrent parfaitement dans le récit. En un mot comme en cent, disons que la qualité littéraire de ce Portrait du Mal n'est sans doute pas son principal atout. Reste que le style est efficace et qu'il se laisse lire avec une grande facilité.
Mais l'intérêt est ailleurs. Dans une histoire passionnante et inquiétante à souhait et dans des personnages qui ne sont pas en reste de ces points de vue. J'avoue n'avoir rencontré que rarement des "méchants" aussi terrifiants. Absolument dénués de scrupules, ils n'hésitent devant rien pour aboutir à leurs fins. Sans parler des méthodes qu'ils emploient pour ce faire et qui font par moment basculer le roman dans le gore le plus total. Rien qui puisse choquer le vieux briscard que je suis mais je préfère mettre en garde les âmes les plus sensibles. Quoi qu'il en soit, le lecteur n'attend qu'une chose, c'est que quelqu'un se dresse contre ces êtres abominables et les mette hors d'état de nuire. Et l'attente est longue (pas trop quand même) et le suspens à son comble. D'abord parce les monstres font preuve d'une discrétion dont la raison est évidente et ensuite parce que les victimes sont, trop longtemps, sans rapport les unes avec les autres et qu'aucune enquête n'est donc menée sur l'ensemble des crimes. Jusqu'à ce que ... Jusqu'à ce que les tueurs soient amenés à commettre quelques imprudences et se fassent remarquer par un certain nombre de personnes. Dès lors, nous allons trembler, jusqu'au bout, pour ces personnes qui vont découvrir petit à petit les motivations et l'absence totale de pitié de ces meurtriers pas ordinaires.
Le portrait du mal est donc un roman d'horreur assez addictif : une fois entamé, je gage que vous aurez du mal à vous arrêter, si tant est, bien entendu, que les inévitables scènes macabres ne vous aurons pas rebuté.

jeudi 17 juin 2010

L'étrange vie de Nobody Owens - Neil Gaiman

Quatrième de couverture
Nobody Owens est un petit garçon parfaitement normal. Ou plutôt, il serait parfaitement normal s'il n'avait pas grandi dans un cimetière, élevé par un couple de fantômes, protégé par Silas, un être étrange ni vivant ni mort, et ami intime d'une sorcière brûlée vive autrefois. Mais quelqu'un va attirer Nobody au-delà de l'enceinte protectrice du cimetière : le meurtrier qui cherche à l'éliminer depuis qu'il est bébé. Si tu savais, Nobody, comme le monde des vivants est dangereux...

Je ne suis pas un très grand fan de Neil Gaiman. Enfin pas vraiment. Disons que j'ai tellement aimé l'excellentissime Neverwhere que j'ai toujours beaucoup de mal à trouver le reste de son œuvre aussi bien.
Je ne suis pas très bien placé non plus, loin s'en faut, pour juger de la qualité des romans pour la jeunesse.
Cela fait deux bonnes raisons pour que ce Nobody Owens soit mal parti pour me séduire.
Quelle ne fut dès lors ma surprise (légère tout de même, convenons-en) de constater que je dévorai le livre du début jusqu'à la fin et ce presque d'une traite et sur seulement deux jours (sachant qu'il ne s'agissait pas de mon livre de chevet). Et l'explication  n'est pas à chercher uniquement dans la facilité de lecture inhérente à la littérature jeunesse. Il faut y ajouter une bonne histoire et des personnages pour certains très attachants et pour d'autres inquiétants à souhait.
Mais l'écriture n'est pas pour rien dans l'engouement que peut provoquer le roman. J'ai trouvé la traduction fort réussie et si j'avais un seul reproche à lui faire, c'est d'utiliser parfois un vocabulaire peut-être un peu trop soutenu. Je fais partie de ces gens qui pensent qu'il faut soigner autant la forme que le fond lorsqu'il s'agit des œuvres destinées aux plus jeunes. Je crois aussi qu'un enfant ne devrait pas non plus avoir à lire un roman avec un dictionnaire sous le coude. Dès le début du livre, un mot m'a frappé. La traductrice utilise pour le mot fenêtre le mot croisée là où, avec un peu de chance, Gaiman avait juste écrit window. Bon, je reconnais qu'il s'agit d'un détail, d'autant plus que, du coup, la lecture devient, pour l'adulte que je suis, extrêmement plaisante.
Et puis il y a l'histoire et les personnages, l'une et les autres fort bien réussis. L'histoire, simple somme toute, c'est celle de ce bébé qui échappe de peu au massacre qui coûtera la vie à toute sa famille. Chaque chapitre qui lui est consacré est l'occasion de le retrouver chaque fois de deux ans plus vieux, environ. Et c'est ainsi que nous voyons grandir Nobody Owens qui passe de quasi bébé à adolescent, au fil d'aventures rythmées par des chapitres qui sont comme autant de nouvelles. L'impression en est encore renforcée lorsque, dans ses remerciements de fin d'ouvrage, Gaiman précise qu'il n'a pas écrit ses chapitres dans l'ordre (il a commencé par le quatrième) et que certains d'entre eux ont fait l'objet d'une première publication à part. C'est ainsi que nous sont narrées les aventures de Bod (Nobody) avec une sorcière dans un chapitre/histoire assez émouvant ou bien avec des goules dans un passage à la fois effrayant et coloré, voire joyeux. Nous retrouvons également Bod à l'école ou Bod se faisant une copine "vivante". Tout cela pourrait d'ailleurs faire un peu hétérogène s'il n'y avait ce fil rouge, cette menace quasi permanente représentée par ce tueur, ce Jack, qui n'abandonne jamais.
Bod va également être amené à côtoyer des personnages protecteurs aussi étranges et presque inquiétants qu'attachants. Nul doute que les enfants qui les découvrirons lors de la lecture sauront les apprécier.
Sans révéler la fin, bien sûr, je m'autorise cependant à vous dévoiler qu'elle est assez mélancolique et que l'auteur nous évite la sempiternelle happy end qui est la conclusion quasi obligatoire des livres pour la jeunesse. Gaiman se contente de nous livrer une fin qui, si elle est assez émouvante n'en reste pas moins chargée d'espoir. L'espoir que donne la vie, tout simplement, aux plus jeunes d'entre nous, une vie toute entière à rêver, à imaginer, à craindre, à inventer, à réaliser. Pour ma part, si j'estime qu'une fin plus ou moins triste ne peut faire que du bien aux jeunes lecteurs, je pense aussi que les priver d'espoir serait presque criminel.
Un livre à acheter pour vos enfants (ou pour vous) et à lire en cachette (ou pas) avant de le leur donner. A lire, j'imagine, à partir de dix ans, compte tenu du vocabulaire soutenu et des quelques 310 pages du livre.

Ils en parlent :

lundi 7 juin 2010

A la pointe de l'épée - Ellen Kushner

Quatrième de couverture
Richard Saint-Vière est le plus fameux des tueurs des Bords-d'Eau, le quartier des pickpockets et des prostituées. Aussi brillant qu'impitoyable, violent à ses heures, ce dandy scandaleux gagne sa vie comme mercenaire en vendant ses talents de bretteur au plus offrant, sans trop se soucier de morale. Mais tout va se compliquer lorsque, pour de mystérieuses raisons, certains nobles de la Cité décident de se disputer ses services exclusifs; Saint-Vière va dès lors se retrouver au coeur d'un inextricable dédale d'intrigues politiques et romanesques qui pourraient bien finir par lui coûter la vie... Au-delà du roman d'aventures mâtiné de mélo-drame, au-delà de l'hommage savoureux rendu aux grands récits de cape et d'épée, A la pointe de l'épée est une oeuvre forte, profondément dérangeante, sur la nature de la réalité et la moralité de la violence.

Ce roman aura été pour moi une véritable découverte. D'abord parce que j'ai lu très peu de critiques à son sujet et que mon système neuronique défaillant les a vite effacées de ma mémoire. Ensuite parce que, fidèle à mon habitude, j'ai lu en diagonale et très vite la quatrième de couverture qui ne m'a pas laissé davantage de souvenirs ou d'indications.
Du coup, j'ai entamé la lecture sans préjugés ni a priori ce qui reste assez rare pour être souligné dans notre époque de surinformation (surinformation à laquelle je contribue dans ma modeste mesure. J'ai conscience du paradoxe).
Et ma foi, lire un roman dans un tel état d'esprit, ça fait du bien.
Alors, me direz_vous, et si vous ne me le dites pas je le dirai à votre place, de quoi est-il question dans cette Pointe de l'épée ? Autant le dire d'emblée, dans le domaine des critères permettant de la classer en fantasy, le roman ne remplit que le minimum syndical. Il ne doit en effet de faire partie du genre que parce que l'histoire se situe dans un monde totalement imaginé par l'auteure. Cependant, l'univers développé par Kushner n'est pas sans rappeler l'Europe du XVIII ème siècle. Il en est même un reflet assez fidèle ce qui peut rendre curieux le choix d'avoir inventé un monde quand un roman historique aurait pu tout aussi bien convenir. Mais c'est sans compter avec le petit truc qui distingue de notre monde réel celui du livre. Dans ce dernier, les nobles dans leur quasi totalité, répugnent à utiliser l'épée pour régler leurs différents. Ils préfèrent faire appel, lorsque la situation l'exige, à des bretteurs professionnels. Et c'est d'ailleurs l'histoire de l'un d'entre eux, la plus fine lame du pays, qui fait la substance du roman. Après avoir mené à bien (comme toujours) son premier contrat à l'ouverture du roman, Saint-Vière, ce fameux meilleur bretteur, se retrouve impliqué bien malgré lui dans des embrouilles politiques.
Pourtant, malgré la présence quasi permanente de cet escrimeur hors-pair, le roman n'est pas réellement un pur roman de capes et d'épées. Tout juste assisteront nous à deux ou trois duels et l'action n'est pas la caractéristique principale du récit. On pensera davantage, immanquablement, aux Liaisons Dangereuses, qu'aux Trois Mousquetaires. Même si, loin s'en faut, Kushner n'est pas Laclos et ses personnages n'ont pas tout à fait l'esprit d'une Merteuil ou d'un Valmont. Pas sûr qu'ils soient même aussi délicieusement détestables. Mais je vous accorde que nous ne sommes plus au XVIIIème siècle et qu'il serait vain et ridicule d'écrire comme à l'époque. Toutefois l'écriture est belle, ciselée et bien rendue par une excellente traduction de Patrick Marcel.
Une seule fausse note, malgré tout, dans la symphonie composée par Kusner : les dialogues. Je les ai trouvés pour ma part calamiteux, au moins la plupart du temps. Et en particulier lorsqu'ils auraient du permettre de mieux cerner les motivations des protagonistes ou de mieux comprendre les détails des intrigues. J'ai souvent du renoncer, je l'avoue, à comprendre les déclarations de tel ou tel personnages. Bon, en même temps, dans les grandes lignes, les motivations se résument souvent à : je veux être calife à la place du calife et les intrigues consistent simplement à trouver un moyen efficace mais non compromettant de tuer ledit calife. Rien de bien compliqué. Eh bien même ça, Kushner parvient à le rendre abscons dans les dialogues qu'elle a imaginé. On frise l'exploit.
Alors me direz-vous que reste-t-il au roman pour nous séduire ? Eh bien, ma foi, s'il n'est pas un roman de capes et d'épées, un roman d'aventures, s'il n'est pas bourré d'action, il n'en reste pas moins un drame parfaitement réussi. Je n'hésiterai pas à reprendre le sous-titre du roman pour le qualifier. A savoir : un mélodrame d'honneur. Voire une tragédie. Une tragédie dont tous les personnages sont masqués. A l'exception notable de Saint-Vière, qui n'est peut-être pas, au départ, le plus sympathique de ceux que nous seront amenés à croiser dans le récit. Après tout il est ni plus ni moins un tueur. Mais c'est pratiquement le seul à agir à visage découvert (autant du moins que sa "profession" le lui permette). Chaque protagoniste va ainsi jouer son rôle, grand ou modeste, dans le drame qui se joue. Nous aurons droit à notre lot de fausses pistes, de coups de théâtre.
Impossible de conclure sans dire un mot du traitement remarquable, de mon humble point de vue, qui est fait de l'homosexualité, en l'espèce masculine, par Ellen Kushner. L'auteure parle en effet du sujet sans ostentation, sans sensationnalisme, sans voyeurisme. Elle y met une tendresse probablement toute féminine et un naturel confondant. A aucun moment on ne devine de sous-entendus du genre : regardez comme je suis une femme moderne, ouverte, tolérante. Elle parle d'ailleurs moins d'amours homosexuelles que d'amour tout court. Je devrais dire de passion en l'occurrence tant les relations entre les deux amants si dissemblables sont empreintes de violence.
En résumé un roman bien écrit, dans l'ensemble, agréable à lire et qui devrait vous faire passer un bon moment à condition toutefois que vous ne cherchiez pas à tout prix de l'action, des intrigues élaborées mais que vous vous contentiez de suivre les agissements de personnages que le destin a réunis, pour le malheur de quelques uns, un court moment de leurs vies.

On en parle, décidément beaucoup, par-ci par-là :
Vert
Hugin & Munin
El Jc
Salvek