dimanche 19 mai 2019

Les Jardins de la Lune - Steven Erikson

Le Livre des Martyrs, Tome 1
Résumé :

Saigné à blanc par des luttes intestines, d’interminables guerres et plusieurs confrontations sanglantes avec le Seigneur Anomander Rake et ses Tistes Andii, le tentaculaire Empire Malazéen frémit de mécontentement.

Les légions impériales elles-mêmes aspirent à un peu de répit. Pour le sergent Mésangeai et ses Brûleurs de Ponts, ainsi que pour Loquevoile, seule sorcière survivante de la 2e Légion, les contrecoups du siège de Pale auraient dû représenter un temps de deuil. Mais Darujhistan, la dernière des Cités Libres de Genabackis, tient encore et toujours bon et l’ambition de l’Impératrice Laseen ne connaît aucune limite.

Cependant, il semble que l’Empire ne soit pas la seule puissance impliquée. De sinistres forces sont à l’oeuvre dans l’ombre, tandis que les dieux eux-mêmes se préparent à abattre leurs cartes...

Pour sacrifier à la tradition, je commencerai cette chronique par une mise en garde, qui se fait l'écho de toutes celles que vous pourrez trouver sur le net. Ce Livre des Martyrs (publié naguère sous le titre Livre Malazéen des Glorieux Défunts), n'est pas d'un abord facile. De l'aveu même de son auteur, ce qui a présidé en priorité à la conception de cette oeuvre c'est l'ambition. Et qui dit auteur ambitieux dit lecteur ambitieux. Disons le tout net, pour lire cette saga, il faut s'accrocher. Et s'accrocher ferme. On est loin ici d'un David Gemmell ou d'un David Eddings. Je respecte profondément l'excellent travail de ces deux grands auteurs, mais il faut reconnaître qu'ils ne sont pas réputés pour leur difficulté à les lire.
Ce qui rend si difficile l'approche du Livre des Martyrs c'est, paradoxalement, ce qui fait sa qualité première : la richesse. Cette série est tout simplement d'une richesse exceptionnelle. Il y a énormément de personnages de premier plan, énormément de peuples à découvrir, ainsi que de cultures, de traditions. Énormément de lieux (il s'agit d'un Empire après tout), de magie, de dieux, d'Histoire (oui, avec un grand H). Comme l'auteur nous plonge là dedans comme un maître-nageur sadique plongerait un enfant ne sachant pas nager dans le grand bain, imaginez les sensations. C'est exaltant autant que terrifiant.
Pour en revenir, par exemple, aux personnages, ceux-ci sont, dans ce premier tome, une bonne vingtaine. Et attention, je parle d'une bonne vingtaine dont l'importance varie entre primordiale et majeure. J’exagère à peine, voire pas du tout. Notez que ceux qui ont survécu à la lecture du génialissime Trône de Fer devraient avoir un gros avantage sur les autres. Parce que, là aussi, en terme de personnages centraux... Mais en fait même pas, ce serait trop simple. Chez Erikson, on n'a pas le temps de s'approprier un personnage que déjà, on passe à un autre. Alors du coup, forcément, irrévocablement, on finit par s'emmêler les pinceaux. 
Heureusement toutefois, la plupart de ces personnages appartiennent à des groupes distincts dont on va suivre les aventures ce qui rend l'identification un poil plus facile. De plus, certains d'entre eux vont davantage marquer nos mémoires de par leur nom, leur fonction, leur grade, leur apparence physique, etc., voire un peu de tout ça. Le sergent Mésengeai, le capitaine Paran, le haut-poing Dujek Unbras, l'Adjointe Lorn, Loquevoile, Mes Regrets, Crokus, Toc le Jeune, qui est borgne, Kruppe, qui a de l'embonpoint, et j'en passe. Et pour finir, pour ceux qui décrocherait quand même, il y a un glossaire en fin de volume avec tous les personnages, les lieux, les titres, les groupes, les peuples, les garennes (éléments de première importance du système de magie). Ne surtout pas hésiter à s'y référer, et souvent.
À côté de ça, le talent de conteur de Steven Erikson est tellement grand, qu'on peut suivre avec un réel plaisir les aventures des uns et des autres sans y comprendre tout. Voire sans y comprendre grand chose. D'ailleurs les personnages eux-mêmes ne comprennent pas tout ce qui se passe. Mais avec un peu de patience, on découvre que tout ce qui pouvait paraître obscur devient soudain lumineux. Enfin pas loin.

D'aucuns disent que beaucoup de personnages sont froids et par conséquent, peu attachants. Je ne suis pas si sûr de partager cette opinion. Certes, Erikson ne fait rien pour créer une véritable proximité entre nous et les protagonistes du roman. Malgré tout, je suis parvenu à m'attacher à bon nombre d'entre eux. Une chose importante à noter c'est que la quasi totalité des personnages n'a rien de détestable. Ici, pas de réels vilains dont on se surprend à souhaiter la mort dans d'atroces souffrances. Je ne dis pas qu'ils sont tous gentils et qu'on est dans un monde de bisounours, pas du tout. Nous ne sommes tout simplement pas dans un monde manichéen ou tout est soit blanc soit noir. Tout est plutôt en nuances de gris. Bon, gris clair si vous voulez, mais gris quand même. Après tout, connaissons-nous vraiment des individus à l'âme d'une noirceur absolue ? J'en doute.

Même si l'exercice ne présente qu'un intérêt limité, il peut être tentant de faire un parallèle entre Le Livre des Martyrs et Le Trône de Fer. Ne serait-ce que parce qu'il s'agit de deux monuments de la fantasy, voire de la dark fantasy. Ajoutons-y Le Seigneur des Anneaux, et nous avons, me semble-t-il, le tiercé gagnant. Alors bon, nous sommes dans chaque cas soit dans un immense royaume soit dans un empire. Il y a des batailles, des complots. Même des dragons. Mais en dehors de ça, les deux œuvres sont fondamentalement différentes. Parlons de ce qui distingue Le Livre des Martyrs du Trône de Fer. Ici, il est assez peu fait mention des grandes familles nobles, voire quasiment pas. Les personnages centraux sont plutôt d'extraction assez modeste. Ce sont des soldats, des mages, des voleurs, des assassins (professionnels)... On est baignés à certains moments dans des intrigues politiques, mais sans excès. La magie est ici très, mais alors très, très importante. Primordiale. Originale aussi, à tel point qu'on ne comprend pas toujours bien comment ça marche en dehors du fait que les mages utilisent des "garennes", espèces de labyrinthes situés dans une autre dimension et qui servent aussi à se déplacer plus rapidement et plus discrètement. Même si c'est parfois plus dangereusement. Il y a d'autres différences mais je n'entrerai pas plus dans les détails. Une chose est sûre cependant, une adaptation en série TV aussi réussie que celle du Trône de Fer donnerait probablement lieu à une oeuvre audiovisuelle exceptionnelle. On peut rêver.

Du côté des parallèles qu'on peut être amenés à faire, j'ajouterais juste, outre Le Trône de Fer des oeuvres comme : La Compagnie Noire de Glenn Cook, Les Princes d'Ambre de Roger Zelazny, voire Le Cycle d'Elric de Michael Moorcock, excusez du peu.

Seul petit bémol dans ce discours dithyrambique, l'origine ludique du roman est parfois assez (trop ?) évidente. L'empire Malazéen est en effet au départ un univers de jeu de rôles. Et ça se sent. Du moins est-ce l'impression que cela m'a fait. Le nombre impressionnant de protagonistes, qui sont autant de personnages joueurs ou non joueurs et qui surgissent au milieu des scènes comme invoqués par un Maître de Jeu, fait parfois un peu artificiel. Mais on pardonne à l'auteur tellement tout ça participe à renforcer l'aspect dramatique de l'histoire.

Bon, vous l'avez compris, ce premier tome m'a juste emballé, scotché, embarqué, enflammé, enthousiasmé... Je vous fais grâce de tous les synonymes. Moi qui suis ce qu'on appelle, en bon français, plutôt un easy reader, je n'ai pas éprouvé les difficultés que je craignais en abordant cet ouvrage. Bien sûr, tout n'est pas limpide au premier abord, loin de là, mais le plaisir de lecture est total. Petits conseils : lire avec un maximum de concentration, ne jamais hésiter à consulter le glossaire, c'est important, ne pas se braquer dès que quelque chose nous échappe, car soit nous comprendrons plus tard, soit la compréhension n'est pas indispensable. Enfin, laissez vous porter par l'histoire.

À l'heure où j'écris ces lignes, trois tomes sont sortis. Les Jardins de la Lune, Les Portes de la Maison des Morts et Les Souvenirs de la Glace. Au rythme d'une parution tous les six mois, il reste encore quelque chose comme trois ans et demi pour avoir la totalité de la décalogie en français. Si tout se passe bien. Sachant comme il n'est (quand même) déjà pas simple de lire l'oeuvre dans sa traduction française, loin de moi l'idée de tenter l'expérience dans la langue originale. Tant pis, il va falloir s'armer de patience. Et prier pour ne pas avoir oublié tout ce qu'on a lu d'un semestre à l'autre.

Excellent. Coup de cœur.

mardi 14 mai 2019

Jusqu'au cœur du soleil - David Brin

Cycle de l'élévation - Tome 1
Résumé :
En s'aventurant au-delà du système solaire, les Terriens ont établi le Contact avec une civilisation galactique vieille d'un milliard d'années, composée de milliers d'espèces intelligentes et basée sur le principe d'Élévation : les races aînées ont le devoir de guider les espèces plus primitives vers le stade de la pleine sapience. Mais les humains font figure d'exception à cette grande tradition. Sans aînés connus, ils prétendent avoir atteint l'intelligence eux-mêmes au cours de leur évolution, et ils ont déjà élevés à la conscience les dauphins et les chimpanzés. Résolus à faire leurs preuves auprès des Galactiques, les Terriens mènent le projet Sundiver, qui envoie des missions d'exploration à proximité de notre soleil. Leurs découvertes, notamment celle de l'existence des formes de vie inconnues dans les archives de la Bibliothèque galactique, risquent cependant de mettre le feu aux poudres. Sous l'égide de Jacob Demwa, ancien détective scientifique, l'équipe Sundiver se voit mêlée aux intrigues des puissantes races aînées, à l'affût du moindre prétexte pour remettre ces parvenus de la Terre à leur place... Premier volume du Cycle de l'Élévation, Jusqu'au cœur du soleil est un roman de science-fiction haletant, où suspense, rigueur scientifique et réflexion se côtoient.

Encore une fameuse série de science-fiction à la solide réputation que je n'avais pas encore lue. Décidément, j'ai beau lire de la SF depuis plus de quarante ans, je fais encore des découvertes, et c'est tant mieux. 
J'avoue que j'ai beaucoup aimé ce premier tome qui n'est pas, au dire de certains fans, le meilleur du cycle. Ça promet alors. J'y ai trouvé tout ce que j'aime dans un ouvrage du genre. Des personnages divers et variés, bien dessinés, une histoire intrigante juste ce qu'il faut pour vouloir en connaître l'issue, des péripéties captivantes et pas trop, trop de jargon scientifique indigeste.
Le tout verse, plus ou moins, dans le space opera. Mais un space opera light. Intimiste. En quasi huis-clos. Au contraire des grandes épopées à la Star Wars, on a affaire ici à une douzaine de personnages. Et parmi eux, quelques spécimens d'extraterrestres plutôt exotiques, tant par leurs apparences que par leurs façons de penser. C'est d'ailleurs l'un des premiers intérêts du roman, cette galerie d'aliens improbables et souvent drôles. Quoique. D'un autre côté, l'intrigue principale a tout d'une enquête policière. On se croirait parfois dans un Agatha Christie avec Jacob Demwa, le personnage principal, dans le rôle d'Hercule Poirot.
Voilà un premier tome très agréable à lire, prometteur, et qui m'incite à poursuivre ma lecture du cycle.

Très bon

jeudi 2 mai 2019

Chanur - Carolyn J. Cherryh

Résumé :
Au spatioport, on a vu l'inconnu errer, hagard, apeuré, apparaissant et disparaissant dans le dédale des conteneurs, des ponts et des passerelles. Et c'est lui que la capitaine Chanur et son équipage découvrent à bord de leur vaisseau qui vient de prendre l'air. Quel est cet être à la peau pâle et nue, sans crocs ni griffes, et qui ne semble pas comprendre leurs questions ?
Qui sont-elles, se demande-t-il à son tour, ces navigantes mi-femmes mi-lionnes, dont la fourrure rousse scintille de bijoux d'or ?
Tandis que le vaisseau fend l'espace, deux mondes, deux langages vont découvrir leurs différences. Pour s'affronter ou se répondre ?

Soyons honnête, je n'ai pas été complètement séduit par ce premier tome de la saga Chanur. Au chapitre de ce qui m'a plu, je mettrais les choses suivantes. Le style, qui est agréable sans jamais atteindre des sommets littéraires. Disons qu'il est efficace et digeste. C'est déjà bien. L'histoire est intéressante et propose des idées originales. Les races extraterrestres présentées sont variées et certaines présentent des caractéristiques qui nous arrachent, de loin en loin, quelques sourires. Les hani, race à laquelle appartient l'héroïne, Pyanfar Chanur, est de ce point de vue assez intéressante en ce qu'elle est une société où seules les femmes ont le droit de voyager dans l'espace, les mâles restant à la maison pour s'occuper des problèmes domestiques. Tout simplement parce que la faible constitution de ces pauvres choses ne leur permet pas d'affronter les dangers de l'espace. Détail qui a son importance, les humains sont totalement absents du paysage. Enfin, presque. Il y a de l'action, sans temps mort.
Au chapitre de ce qui m'a nettement moins emballé, je citerai les choses suivantes. La connaissance que peut avoir le lecteur de la façon dont fonctionne la société hani, la seule vraiment développée dans ce roman, ne vient que très progressivement, de façon très parcellaire, et, le moins qu'on puisse dire, est qu'on ne comprend pas tout ce qui se passe. Loin de là. Ajoutons à cela une multitude de noms propres qu'on ne retient pas facilement et vous devinerez que l'immersion dans la culture hani ne nous est pas facilitée. Ce qui est assez dommage, compte tenu de l’intérêt qu'elle pouvait susciter. Le choix d'une société où le mâle n'est pas dominant est évidemment une excellente idée. Mais pourquoi avoir fait des femmes le sexe dominant en ce cas ? Je veux dire par là, pourquoi, tant qu'à inventer une société, vouloir à tout prix que l'un des sexes domine l'autre ? N'est-il pas possible d'imaginer une société où hommes et femmes sont juste égaux ? Je pose juste la question. Je préfère, quant à moi, le féminisme tout en subtilité d'une Ursula Le Guin, mais ça n'engage que moi. Notons cependant, pour être honnête, que Pyanfar semble vouloir amorcer une révolution dans les rapports hommes femmes.
Autre chose qui m'a un peu gêné, même si ce n'est qu'à un faible degré, c'est la façon dont Pyanfar Chanur s'adresse aux autres extraterrestres, qu'ils soient amicaux ou hostiles. Elle est constamment dans l'injure ou l'insulte. À tel point que cela en devient à peine crédible. Peut-on imaginer quelqu'un passant son temps à insulter tous ses interlocuteurs ? Et surtout sans réplique. J'ai un peu de mal. Notez bien qu'en même temps, cette Pyanfar Chanur n'a vraiment rien de sympathique, finalement. Son comportement est le plus souvent autoritaire voire agressif. Et c'est le personnage principal autour duquel tout le récit s'articule. C'est un peu gênant. Et autre point négatif, c'est précisément que les personnages secondaires sont... secondaires mais alors, très secondaires.
Bref, une saga agréable à lire, certes, mais à laquelle il manque ce petit plus qui la rendrait exceptionnelle. Je me tâte pour savoir si je vais lire la suite. À mon âge, le temps manque de plus en plus pour risquer de le perdre inutilement alors qu'il y a, à n'en pas douter, d'autres choses bien plus passionnantes à lire.

Bon