dimanche 19 février 2017

Prendre les loups pour des chiens - Hervé Le Corre

Résumé :
Franck, environ 25 ans, sort de prison après un braquage commis en compagnie de son frère aîné. Il est accueilli par une famille toxique : le père, fourbe, retape des voitures volées pour des collectionneurs, la mère, hostile et pleine d'amertume, la fille Jessica, violente, névrosée, animée de pulsions sexuelles dévorantes et sa fille, la petite Rachel, mutique, solitaire et mystérieuse, qui se livre à ses jeux d'enfant. Nous sommes dans le sud de la Gironde, dans un pays de forêts sombres et denses, avec des milliers de pins qui s'étendent à perte de vue, seulement ponctués par des palombières. Dans la moiteur, la méfiance et le silence, un drame va se jouer entre ces êtres désaxés. 

D'Hervé Le Corre je n'avais lu que le très bon L'homme aux lèvres de saphir. Mais cette dernière lecture ne m'avait pas préparé à ce que j'allais découvrir, tant le propos est différent. Si nous restons en France, nous changeons de région, passant de Paris à l'Aquitaine. Nous changeons d'époque, passant de 1870 à nos jours. Nous passons enfin d'une enquête criminelle à un épisode plutôt noir de la vie d'un jeune délinquant.
L'histoire, qui se déroule sur quelques jours, est celle de Franck, un jeune braqueur qui sort juste de prison où il a purgé, seul, une peine pour un braquage qu'il a réalisé avec son frère aîné, Fabien. 
La famille qui l'accueille n'est pas, loin s'en faut, de celle dont on rêve pour renouer avec la société lorsqu'on sort de prison. Franck va vite s'apercevoir qu'il n'est pas le bienvenu. De plus, il va se retrouver mêlé à des évènements qui le dépassent. Parce qu'il faut bien le dire, Franck n'a rien d'un truand endurci. Il n'est pas particulièrement courageux, il ne sait pas se battre, il répugne à faire du mal même à ses pires ennemis. Il va même jusqu'à s'enticher d'une petite fille. C'est un tendre, en vérité, qui a seulement mal tourné.
C'est ce qui le rend particulièrement attachant. D'autant qu'à l'exception de Rachel, la gamine qu'il a prise en affection, aucun autre personnage ne suscite notre empathie. Ils sont tous, au choix, méchants, dangereux, dingues, violents, voire tout ça à la fois.
Le récit est mené dans un style fort agréable et très visuel, voire cinématographique. Un seul exemple, quand il décrit la mère, faisant la vaisselle, la clope au coin des lèvres et l’œil fermé à cause de la fumée, on y est, on la voit.
Le rythme est soutenu, l'histoire prenante, les personnages bien campés. Bref, une réussite à tous les niveaux.
Hervé Le Corre est décidément un auteur à suivre.

Excellent. 

jeudi 16 février 2017

Au bonheur des ogres - Daniel Pennac

Résumé :
Benjamin Malaussène a un drôle de métier : bouc émissaire au service réclamations d'un grand magasin parisien où il est chargé d'apitoyer les clients grincheux.
Une bombe, puis deux, explosent dans le magasin. Benjamin est le suspect numéro un de cette vague d'attentats aveugles. Attentats ? Aveugles ? Et s'il n'y avait que ça !

Quand on est l'aîné, il faut aussi survivre aux tribulations de sa tumultueuse famille: la douce Clara qui photographie comme elle respire, Thérèse l'extralucide, Louna l'amoureuse, Jérémy le curieux, le Petit rêveur, la maman et ses amants...

Le tout sous les yeux de Julius, le chien épileptique, et de Tante Julia, journaliste volcanique. 

Il était temps, plus de trente ans après sa parution, que je lise le premier roman de cette saga devenue culte. En même temps, j'étais pas obligé non plus, c'est Pennac lui-même qui le dit (dans son essai : Comme un roman). Alors !
Mais bon, je l'ai attaqué sans me forcer. Et j'avoue que bien m'en a pris.
Je dois tout de même reconnaître que j'ai été bien vite étonné de la tournure que prenait le roman. Dans mon esprit et pour le peu que j'en savais, j'avais affaire à une saga familiale tout ce qu'il y a de plus classique racontant, du moins l'imaginais-je ainsi, les aventures d'un père et d'une mère, de leurs enfants, de grand-parents aussi, pourquoi pas, de cousins, de cousines, que sais-je encore ? Bah non. Ou du moins pas que. Et déjà pas une famille ordinaire. Une fratrie en réalité faite de demi-frères et de demi-sœurs, plus spécifiquement de frères et sœurs utérins. 
Cette tribu partage le même logement (à l'exception d'une sœur) et va de l’aîné, Benjamin, le narrateur, adulte et déjà dans la vie active au Petit, le dernier en date, encore à l'école primaire. L'auteur ne livre d'ailleurs aucune indication explicite sur l'âge des personnages ce qui nous permet de laisser libre court à notre imagination dans ce domaine.
Donc, de famille, il en est question, évidemment. Mais une autre facette du roman, et pas la moindre, se fait très vite jour. Et je veux parler de l'aspect policier de l'histoire et qui est davantage qu'un élément cosmétique, accessoire. De fait, une enquête est menée qui devient vite  l'ossature même du récit. Et il faut se rendre à l'évidence, nous avons affaire à un roman policier. Sans l'ombre d'un doute. Avec même des policiers dedans.
Le tout est écrit dans un style enlevé, alerte, agréable et le ton est léger, drôle. Impossible pour moi de ne pas voir d'analogie avec la façon d'écrire d'un Frédéric Dard. Même si le vocabulaire est moins argotique, il emprunte, ici et là quelques mots de la langue verte du plus jubilatoire effet. C'est aussi truculent qu'un bon San Antonio. J'ajoute que les personnages sont très attachants, et en particulier, toute la petite famille.
Inutile de vous dire que je suis sous le charme et que la suite des aventures de Benjamin Malaussène va rapidement défiler.  

Excellent. 

dimanche 12 février 2017

Les noces barbares - Yann Queffélec

Résumé :
Fruit d'une alliance barbare et d'un grand amour déçu, Ludovic, enfant haï par sa trop jeune mère — Nicole — et ses grands-parents, vit ses premières années caché dans un grenier.
La situation ne s'arrange guère après le mariage de Nicole avec Micho, brave et riche mécanicien qui cherche à protéger Ludovic. Hantée par ses amours brisées, sombrant dans l'alcoolisme et méprisant son mari, la jeune femme fait enfermer son fils dans une institution pour débiles légers. Mais Ludovic est loin d'être le crétin qu'on suppose. Il ne cesse de rêver à sa mère qu'il adore autant qu'il la redoute. Même une première expérience amoureuse ne parvient pas à l'en détourner. Son seul but, son unique lumière : la retrouver.
S'enfuyant un soir de Noël, il trouve refuge sur la côte bordelaise, à bord d'une épave échouée, écrit des lettres enflammées qui restent sans réponse. Et c'est là que va se produire entre Nicole et son fils une scène poignante et magnifique de re-connaissance mutuelle.

Ces noces barbares, ce sont l'histoire de Ludovic, dit Ludo, un enfant dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas désiré. Totalement ignoré par son grand-père, à peine plus considéré par sa grand-mère, délaissé, voire détesté par sa mère, martyrisé par son frère adoptif, Ludo s'élève tout seul et grandit sans amour, ou presque. Seul une cousine va lui montrer de l'affection mais la mauvaise santé de celle-ci va l'empêcher de prendre soin du garçon. Son beau-père, mari de sa mère, va lui aussi tenter de protéger son beau-fils, mais sa lâcheté et l'envie de ne pas entretenir de conflit avec sa femme, va rendre son affection totalement improductive.
Nous vivons donc le quotidien de cet enfant, son enfer permanent. Bien qu'il ne soit pas si bête, il passe pour idiot dans la mesure où il n'a pas bénéficié d'un socialisation digne de ce nom. C'est tout juste s'il sait lire et écrire. Tout le monde l'accuse de tous les maux et ce d'autant plus facilement qu'il se défend peu et que les autres profitent de son innocence pour faire des vacheries et le faire accuser à leur place.
De fait, Ludo est un innocent. Il n'a aucune notion du bien et du mal. Tout ce qui l'intéresse, c'est de se faire aimer de cette mère qu'il adore mais qui, malheureusement, n'a qu'un désir, se débarrasser de lui. 
Inutile de chercher un rayon de soleil dans la grisaille de cette vie, il n'y en a pour ainsi dire pas. Même ses amourettes d'enfant/ado sont sordides, clandestines et insatisfaisantes. Sa petite amie n'est pas cette mère idéalisée qui hante ses pensées. Cette mère à qui il écrit des dizaines de lettres qui restent sans réponse. Cette mère dont il attend la venue mais qui ne vient jamais. Ou trop tard, ou pour de mauvaises raisons.
Vous êtes prévenus, aucune chance que vous esquissiez le moindre sourire à cette lecture, en revanche, l'écriture est tellement magnifique, le personnage tellement attachant que vous êtes assuré de passer un excellent moment littéraire.

Excellent. Coup de cœur.

lundi 6 février 2017

La petite fille de Marie Gare - Danielle Thiéry

Résumé :
Quand le commissaire Danielle Thiéry prend la tête de la brigade des chemins de fer, en 1985, elle savoure la coïncidence : prononcer des dizaines de fois par jour le nom de son arrière-grand-mère, une enfant trouvée nommée Marie Gare parce qu'elle a été abandonnée dans la gare de Dijon. De quoi donner à Danielle Thiéry l'envie d'enquêter sur cette mystérieuse aïeule, et des prédispositions pour diriger la police des trains... Dans une fresque parfois joyeuse, parfois sordide mais toujours optimiste, Danielle Thiéry raconte ses vingt-cinq ans de « femme flic » : la brigade des mineurs, ses fugueurs récidivistes et ses enfants exploités, maltraités ; la brigade des stups, où en tant que femme fraîchement entrée dans la police, donc inconnue du Milieu, elle servit de « chèvre » pour l'enquête sur un dealer insaisissable ; enfin la police des trains, microcosme de tous les problèmes qui frappent la France. De par sa position stratégique, Danielle Thiéry s'est retrouvée au coeur des attentats de 1986, puis elle a dû gérer tant bien que mal la dégradation des banlieues, la délinquance des toxicomanes, la prostitution, le mal-être des policiers... La tumultueuse vie professionnelle d'une « madame le commissaire » à la plume virevoltante et au caractère bien trempé. Première femme commissaire divisionnaire de l'histoire de la police française, Danielle Thiéry connaît le milieu policier de l'intérieur. Récompensée par le Prix Polar à Cognac, le Prix Exbrayat, et le Prix du Quai desOrfèvres 2013, elle s'est imposée comme une grande figure féminine sur la scène du polar, notamment avec "Affaire classée" (vendu à près de 100 000exemplaires).

Je n'avais pas encore lu de Danielle Thiéry, mais le nombre de prix qu'elle avait reçu pour son œuvre excitait ma curiosité. Fidèle à mes habitudes (mes manies, diront certains), je commençais par le premier de la liste, m'attendant à lire un bon polar. Compte tenu de ma perspicacité légendaire, je m'aperçus vite, qu'en guise de polar, j'avais affaire à une autobiographie. Mais s'agissant de la vie de la première femme commissaire divisionnaire de France, l'aspect roman policier ne s'éloignait pas tout à fait.
Et j'avoue que la lecture n'a pas manqué d'intérêt pour moi. La vie de cette femme intelligente, courageuse, obstinée, qui a été en charge de monter de toutes pièces un certain nombre de services, m'a passionné. D'autant qu'on est convié au cœur même des rouages de la police.
Alors, bien sûr, même si la langue est parfaitement maîtrisée (on sent la littéraire), le style reste trop proche du rapport de police. Analytique, concis, précis mais manquant sans doute de la petite flamme qui lui aurait conféré une autre envergure.
À lire, donc, pour se faire une idée de la police nationale de ces années là.
Notez que la vie de cette policière hors norme a inspiré la série télévisée Quai n° 1 avec Sophie Duez puis Astrid Veillon.

Bon.
 

Beaux rivages - Nina Bouraoui

Résumé :
C'est une histoire simple, universelle. Après huit ans d'amour, Adrian quitte A. pour une autre femme ; Beaux rivages est la radiographie de cette séparation.
Quels que soient notre âge, notre sexe, notre origine sociale, nous sommes tous égaux devant un grand chagrin d'amour.
Les larmes rassemblent davantage que les baisers.
J'ai écrit Beaux rivages pour tous les quittés du monde.
Pour ceux qui ont perdu la foi en perdant leur bonheur.
Pour ceux qui pensent qu'ils ne sauront plus vivre sans l'autre et qu'ils ne sauront plus aimer. Pour comprendre pourquoi une rupture nous laisse si désarmés. Et pour rappeler que l'amour triomphera toujours. En cela, c'est un roman de résistance. 

A priori, je n'étais pas le cœur de cible de ce roman. Mais les a priori, c'est le mal. Après tout, la plupart d'entre nous, même ceux qui refusent de l'admettre, nous avons été largués, un jour ou l'autre. Et les années passant, le risque augmente. C'est statistique.
Partant de ce principe, je ne pouvais nier que ce que Nina Bouraoui décrit, si bien, éveillait en moi des choses vécues. Pas nécessairement ce que A., le personnage principal, vit, mais du moins, je possède, à un degré certes différent, la (douloureuse) expérience de ce qu'elle endure.
De quoi susciter en moi la nécessaire empathie qu'un lecteur doit avoir pour des personnages pour que la lecture «fonctionne». Même si, parfois, on a envie de secouer A. pour qu'elle passe, enfin, à autre chose. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.
Et on assiste au long et nécessaire cheminement du personnage pour, non pas forcément accéder à la lumière, mais au moins, quitter le plus profond des ténèbres dans lesquelles l'a plongée la séparation. Nous découvrons chaque étape : le chagrin, l'incompréhension, la colère, la haine de l'autre, celle qui nous a «volé» celui qu'on aime, la paranoïa, parce que l'héroïne est persuadée que, par blog interposé, la rivale l'agresse.
Parce que, et c'est un élément important du livre, me semble-t-il, l'auteure n'hésite pas à faire référence aux nouvelles technologies, tant elles ont, il est vrai, envahi notre vie. Du coup, nous sommes plongés en pleine modernité et cela renforce encore notre proximité avec les personnages.
Le tout est écrit dans une magnifique langue, élégante, efficace, avec des phrases le plus souvent courtes qui apportent du rythme au récit. À l'exception notable, toutefois, d'une phrase qui m'a frappé, interminable mais rythmée, hachée pourrait-on dire par la présence de nombreuses virgules en manière de points, d'une telle longueur et d'une telle intensité qu'elle nous laisse, une fois achevée, avec la curieuse impression de l'avoir lue en apnée. Une apnée cérébrale, si j'ose cette image, mais qui nous abandonne presque physiquement essoufflé, haletant, comme si, en guise de lecture, nous avions fait de la plongée sans bouteille. L'effet est saisissant.
Plutôt éloigné de mes lectures habituelles, ce très beau roman m'a donné envie de faire plus ample connaissance avec l'univers de cette talentueuse auteure.

Très bon.

dimanche 5 février 2017

Le club des punks contre l'apocalypse zombie - Karim Berrouka

Résumé :
Les zombies ont envahi Paris. Un groupe de punks décide de profiter de la situation pour faire flotter le drapeau anarchiste sur la tour Eiffel. Mais, dans l'ombre, des rescapés du Medef ourdissent également un plan infernal.
Mêlant univers punk et humour, ce roman post-apocalyptique, ode à l'anarchie et à l'amitié, aborde aussi des questions de société. 

Je ne suis pas trop fan des histoires de zombie. À part World War Z mais bon, on est d'accord... Je ne connais pas l'univers punk et je ne m'y suis jamais intéressé. Je n'apprécie que modérément l'humour dans les livres et en particulier dans la littérature de l'imaginaire. Enfin si, j'aime bien, mais à petites doses. Vous imaginez donc à quel point j'entrais dans la lecture de ce roman à reculons.
 Eh bien, foin de suspense insoutenable : j'avais tort et j'ai passé un excellent moment. D'abord, et c'est important de le souligner, ce n'est pas ce que décrit l'auteur (excellent) qui est drôle. D'ailleurs, pas du tout. C'est même plutôt tragique. C'est plutôt la façon de le dire qui l'est. Le ton, le style, le vocabulaire, les images, tout est drôle. Alors bien sûr, de temps en temps, ce sont les situations qui sont cocasses. En particulier lorsque Karim Berrouka introduit dans son récit des personnages publics pour le moins inattendus. Il en profite d'ailleurs pour régler quelques comptes, assez gentiment d'ailleurs.
Mais ce roman n'est pas simplement un roman humoristique. C'est aussi un vrai roman fantastique. Avec de vrais morceaux de zombies dedans. C'est le cas de le dire. Des zombies (presque) ordinaires. Sauf que, bon, des zombies vraiment ordinaires, c'est pas drôle. L'auteur les a donc dotés de caractéristiques inédites qui pimentent le récit. Et c'est également un roman politique. Mais pas dans le sens ennuyeux. Bien au contraire. C'est juste le regard aiguisé d'un homme sur la société qui nous entoure.
On peut ajouter à cela des personnages très attachants, la plupart complètement barrés, mais infiniment sympathiques.
Pour couronner le tout, j'ai particulièrement apprécié, à titre personnel, pour le coup, que le plus gros de l'action se situe dans l'est parisien, quartier de mon enfance, de mon adolescence et même du début de ma vie d'adulte. J'ai même ressenti une satisfaction limite puérile (mais j'assume) à reconnaître, à sa description, la place Félix Eboué à Paris, dans le 12ème arrondissement. Souvenirs, souvenirs.
Ma seule restriction concernera la fin. Au premier abord, elle semble insatisfaisante. Trop ouverte et pas assez explicite. Puis, à la réflexion, il m'est apparu que c'est probablement une façon, pour l'auteur, de conclure que l'Anarchie ne saurait survivre sans son adversaire séculaire, j'ai nommé la religion. Ou, si ce n'est l'Anarchie, du moins les anarchistes.
Malgré tout, le roman est excellent et jubilatoire. A lire pour passer un très, très bon moment.

Merci (le énième)  à Fan2polar qui m'a conseillé cet auteur et en particulier ce livre. Sa chronique.

Très bon