dimanche 28 février 2010

Le Royaume de Tobin, T3 - Lynn Flewelling

Attention ce qui suit révèle une partie de l'intrigue.

Résumé
À la cour d'Orun, Tobin prend conscience de ses devoirs vis-à-vis de son peuple, mais aussi de sa féminité qui, malgré le déguisement que lui a permis la magie, s'affirme de jour en jour et manque de trahir sa vraie personnalité. Bravant l'interdiction du roi, elle forme en cachette des jeunes filles à l'escrime.
Dans les campagnes ravagées par la famine, la résistance s'organise pour mettre fin au régime tyrannique du roi usurpateur et restaurer l'antique dynastie des reines qui redonnerait au royaume gloire et prospérité. L'heure de gloire de Tobin...

Extrait
Tout englué qu'il se trouvait encore sur la bordure de songes ténébreux, Tobin prenait conscience, petit à petit, du fumet qu'exhalait le bouillon de viande et d'une rumeur feutrée de voix indistinctes dans les parages. Trouant le noir à la manière d'un fanal, elles le firent émerger du sommeil. C'était la voix de Nari, ça. Que diable sa nourrice venait-elle fabriquer à Ero ?
Il ouvrit les yeux et se rendit compte avec un soulagement mêlé de perplexité qu'il occupait son ancienne chambre, au manoir. Installé près de la fenêtre ouverte, un brasero diffusait les motifs rougeoyants de son couvercle en cuivre criblé de trous. De la petite veilleuse de chevet émanait une lueur plus vive qui faisait danser plein d'ombres parmi les chevrons du plafond. Les draps du lit fleuraient la lavande et le grand air frais, tout comme la chemise de nuit qu'il portait. La porte était close, mais cela ne l'empêchait pas d'entendre toujours Nari qui bavardait tout bas, dehors, avec quelqu'un.
La cervelle encore engourdie de sommeil, il laissa son regard parcourir la pièce, tout au contentement pour l'instant d'être là, chez lui. Une poignée de ses sculptures en cire trônait sur le rebord de la fenêtre, et les épées d'exercice en bois se dressaient dans l'angle voisin de la porte. Les araignées n'étaient pas restées oisives entre les poutres; le moindre vent coulis faisait doucement ondoyer l'ampleur de leurs toiles, aussi fines qu'une mantille de grande dame.
Un bol se trouvait sur la table qui jouxtait le lit. Et il y avait à côté, prête à servir, une cuillère en corne. La cuillère dont Nari s'était toujours servie pour le faire manger quand il était malade. Je suis malade ?
Et Ero ? se demanda-t-il du fond de sa somnolence, Ero n'avait-elle été rien d'autre qu'un rêve issu de la fièvre ? Et la mort de Père, et la mort de Mère, des cauchemars aussi ? Il souffrait un peu, et le milieu de sa poitrine lui faisait mal, mais il se sentait beaucoup plus affamé que malade. Comme il tendait la main vers le bol, il entr'aperçut quelque chose qui réduisit en miettes ses lubies de réveil vaseux.
Cette vieille horreur de poupée de chiffon gisait bien en évidence sur le coffre à vêtements, de l'autre côté de la chambre. Même de sa place, il distinguait nettement le fil blanc tout neuf qui recousait le flanc défraîchi du fantoche.
Tobin dut se cramponner à l'édredon lorsqu'un raz de marée d'images fragmentaires menaça de la submerger. La dernière chose dont il conservait un souvenir net était qu'il se trouvait allongé sur la paillasse de Lhel, dans le chêne qu'elle avait élu pour demeure au fond des bois dominant le fort. La sorcière ouvrait la poupée d'un coup de canif et lui exhibait de petits morceaux d'os puérils - des os de Frère - jusqu'alors dissimulés dans le rembourrage. Des os dissimulés par Mère lorsqu'elle avait fabriqué cet informe machin. Après quoi Lhel s'était servie non plus de peau mais d'une esquille pour lier de nouveau l'âme de Frère à la sienne à lui.
Tobin glissa dans l'encolure de la chemise de nuit des doigts tout tremblants mais précautionneux pour tâter le point douloureux de son torse. Oui, c'était bien là; une bride étroite de peau saillante qui courait verticalement jusqu'au milieu de son sternum marquait l'endroit où Lhel l'avait recousu comme une liquette déchirée. Il sentait parfaitement l'infime bourrelet des points, mais ça ne saignait pas du tout. Au lieu d'être à vif comme celle que Frère avait sur la poitrine, la plaie était déjà presque cicatrisée. En appuyant légèrement dessus, Tobin découvrit le petit grumeau dur que le fragment d'os faisait sous sa peau. Il était possible de le faire vaguement bouger comme une minuscule dent branlante.
Peau forte, mais os plus fort, avait dit la sorcière.
À force de rentrer son menton, Tobin parvint à regarder, et il s'aperçut que rien ne se voyait, ni le renflement ni les points. Exactement comme auparavant, personne ne pourrait se douter de l'opération qu'elle lui avait fait subir.
Une vague vertigineuse déferla sur lui quand il se ressouvint de l'expression qu'avait le visage de Frère flottant à l'envers juste au-dessus de lui pendant que Lhel faisait son travail. La douleur tordait les traits du fantôme, et des larmes de sang tombaient de ses prunelles noires et de la plaie béante sur sa poitrine.
Morts pas pouvoir souffrir, keesa, lui avait-elle affirmé, mais elle se trompait.
Tobin se repelotonna contre l'oreiller puis attacha son regard désolé sur l'affreuse poupée. Tant d'années passées à la cacher, tant d'années dans la peur, l'angoisse, et tout ça, finalement, pour la retrouver là, étalée au vu de n'importe qui...
Mais comment était-elle arrivée ici ? Alors qu'il l'avait laissée là-bas, le jour où il s'était enfui d'Ero ?
Brusquement affolé sans savoir pourquoi, il faillit se mettre à appeler Nari à grands cris, mais la honte le suffoqua. Il faisait partie des Compagnons royaux, puis il était beaucoup trop vieux pour se montrer en manque de nourrice !
D'ailleurs, quelle réflexion Nari lui ferait-elle à propos de la poupée ? Elle l'avait sûrement vue, pour le coup. Et il ne se rappelait que trop la vision dont Frère l'avait autrefois régalé pour lui montrer comment réagiraient les gens s'ils en découvraient l'existence, avec quelles moues écœurées. Il n'y avait que les filles pour avoir envie de poupées...


Chronique complète à l'issue de la lecture du cycle.

Le Royaume de Tobin, T2 - Lynn Flewelling

Attention ce qui suit révèle une partie de l'intrigue.

Résumé
Habillée en garçon et protégée par un sortilège, Tobin apprend à se battre comme un guerrier. Cependant l'adolescence approche et, un jour, la puberté éclate dans son corps de jeune fille. Comment va-telle affronter la réalité qui se découvre à elle ? Et comment va-telle continuer à la cacher au duc cruel qui, méfiant, la tient sous surveillance ?
Pourtant son destin de grande souveraine est inscrit dans la Prophétie...

Extrait
Les semaines consécutives à l'arrivée de Ki furent des semaines heureuses. Sans rien savoir des propos qu'Iya avait bien pu tenir lors de sa visite à Atyion, Arkoniel eut la bonne surprise de voir Rhius survenir au fort peu de temps après et celle, meilleure encore, de le retrouver presque tel qu'il l'avait connu de par le passé. Non content de promettre qu'il prolongerait son séjour jusqu'en Erasin, pour la fête anniversaire de Tobin, le duc vanta les améliorations apportées à la demeure et, chaque soir, il conviait le jeune magicien à s'associer aux parties qu'il disputait avec son vieil ami Tharin. Car du différend qui l'avait opposé à ce dernier ne subsistait plus non plus la moindre trace, et tous deux se montraient plus que jamais proches l'un de l'autre.
Rhius apprécia également Ki, dont le service à table valut autant d'éloges à Tharin, comme entraîneur, que la bonne tenue de Tobin au maniement de l'arc et de l'épée. Et lorsque ce dernier, le jour de son dixième anniversaire, s'agenouilla dans la grande salle pour demander que son compagnon soit fait son écuyer, le duc exauça d'emblée la requête et permit aux deux gamins de jurer leur foi à Sakor le soir même devant l'autel domestique ; en symbole de ces nouveaux liens, Tobin offrit à Ki comme pendentif à porter au cou le plus délicat de ses chevaux-amulettes sculptés.
Toutes ces marques de bienveillance n'empêchaient cependant pas Rhius de maintenir quelque distance à l'endroit de Ki, ce qui n'allait pas sans mettre un peu mal à l'aise les deux garçons.
Le jour de la fête de Tobin, il avait ainsi fait présent à Ki d'un costume neuf et d'un beau rouan nommé Dragon. Mais il coupa court aux tentatives de remerciements du gosse en déclarant tout sec : "Mon fils doit être accompagné comme il sied."
Or, si Ki, totalement envoûté déjà par Tharin, ne demandait manifestement qu'à se laisser envoûter de même par le père de Tobin, la froideur du duc ne servit qu'à l'intimider davantage et à le paralyser.
Tobin s'en aperçut lui-même et en fut blessé pour son ami.
Seuls à comprendre ce qui motivait le comportement de Rhius, Arkoniel et Nari n'étaient ni l'un ni l'autre en mesure de leur offrir le réconfort de la vérité. Il leur était impossible d'évoquer, même entre eux, le fil d'araignée auquel était attachée l'épée suspendue sur la tête du jeune Ki.

Quelques semaines s'étaient écoulées quand, par un bel après-midi froid, Arkoniel se trouva regarder en compagnie du duc, du haut du parapet, les enfants qui s'amusaient dans la prairie en contrebas.
Tobin s'échinait à retrouver Ki, planqué pour lors dans un creux cerné d'herbes folles et de vagues taillis enneigés. Tout en réussissant l'exploit d'empêcher son haleine fumante de s'élever, Ki finit tout de même par se trahir en heurtant du pied une souche morte de dompte-venin. Encore chargée de ses gousses sèches, la plante éparpilla sous le choc une nuée soyeuse de graines blanches aussi éclatante que des enseignes de bataille.
Rhius se mit à glousser. "Hm, le voilà fait maintenant !"
À cette vue, Tobin fusa effectivement sur son copain, et l'empoignade qui s'ensuivit souleva de nouvelles nuées d'aigrettes floconneuses.
"Lumière divine..., ce Ki est une vraie bénédiction !
- Je le crois moi-même, convint Arkoniel. C'est ahurissant de voir comme ils se sont plu l'un l'autre."
À première vue, il était impossible en effet d'être plus différent que les deux garçons. Autant Tobin se montrait taciturne et sérieux par nature, autant Ki paraissait incapable de tenir en place ou de garder le silence plus de trois minutes d'affilée : jacasser semblait aussi vital pour lui que respirer ; il parlait encore comme un rustre et pouvait déployer des crudités de charretier qui lui auraient déjà valu dix fois le fouet de Nari si Tobin ne s'était fait l'apôtre de l'indulgence ; mais quant au fond de ses propos, l'intelligence, quoique en friche, y brillait la plupart du temps, tandis que ses éventuels manquements à la bienséance verbale s'accompagnaient d'une invariable drôlerie.
Et Arkoniel ne s'y méprenait pas : pour n'avoir pas encore essayé de s'en faire l'émule, Tobin ne s'en glorifiait pas moins du caractère turbulent de Ki. Il rayonnait comme une pleine lune en présence de son jeune aîné, et il se délectait à l'écouter conter les histoires de son innombrable tribu bigarrée. Il n'était pas le seul, d'ailleurs, à s'en montrer friand. Lorsque la maisonnée se regroupait autour du feu, le soir, Ki lui servait plus qu'à son tour d'amuseur en titre, et ses auditeurs ne tardaient guère à se tenir les côtes grâce aux travers et aux mésaventures de ses divers frères et sœurs.
Il possédait aussi un répertoire aussi copieux qu'extravagant de fables et de légendes ingurgitées au foyer de son père ; il y était question de bêtes qui parlaient, de spectres et de royaumes fantastiques où les hommes avaient deux têtes et où les oiseaux perdaient en muant des plumes d'or acérées à point pour que les cupidités s'y tranchent infailliblement les doigts.
Tâchant de s'appuyer sur les conseils d'Iya, Arkoniel fit venir des éditions richement enluminées des contes les plus courants, dans l'espoir qu'elles rendraient plus attrayant pour les deux petits l'apprentissage de la lecture. Tobin n'en finissait pourtant pas de se débattre avec son alphabet, et les secours de Ki se révélaient d'autant plus piètres dans ce domaine qu'il y renâclait lui-même avec l'orgueilleuse imbécillité du gentillâtre provincial qui, n'ayant jamais vu son nom noir sur blanc, se souciait de l'écrire comme d'une guigne. Au lieu de les réprimander, le magicien laissa simplement traîner deux ou trois volumes ouverts sur des illustrations tout spécialement palpitantes, escomptant bien que la curiosité ferait la besogne à sa place. Et c'est seulement l'autre jour qu'il avait fini par surprendre un Ki tout pensif devant le Bestiaire de Gramain. Entretemps, Tobin s'était d'ailleurs paisiblement mis au travail sur une biographie de sa célèbre ancêtre, Ghërilain Première, qu'il avait reçue en présent du duc.
Ki se révéla toutefois un meilleur allié lorsqu'il fut question de magie. Il éprouvait envers celle-ci toute la fascination d'un enfant normal, et son enthousiasme aplanit les voies d'Arkoniel pour entreprendre de soigner les affolements singuliers dont elle affligeait Tobin. Le magicien se contenta de débuter par de petites séances d'illusionnisme et quelques manipulations simplettes. Mais tandis qu'avec sa fougue habituelle Ki se jetait à corps perdu dans ce genre de passe-temps, Tobin persista à réagir de manière aussi peu prévisible. S'il eut l'air charmé par les pierres lumineuses et les copeaux de feu, il se mettait sur la défensive aussitôt qu'Arkoniel suggérait l'idée d'un nouveau voyage visionnaire.


Chronique complète à l'issue de la lecture du cycle.

Le Royaume de Tobin, T1 - Lynn Flewelling

Résumé
Dans le royaume de Skala régi par des reines-guerrières, le prince Érius s'empare du pouvoir et élimine toutes les prétendantes au trône, sauf une, enceinte de jumeaux. À leur naissance, deux mages et une sorcière sacrifient l'enfant mâle et transforment la petite fille en lui donnant l'apparence d'un garçon. C'est le seul moyen d'assurer l'avenir du royaume, désormais ravagé par les épidémies et les famines, menacé par de puissants ennemis.
Élevée comme un garçon, Tobin grandit en ignorant sa nature... et sa véritable destinée.

Extrait
Iya retira le chapeau de paille qui la protégeait en voyage pour s'en éventer, tandis que son cheval s'échinait à grimper le chemin rocailleux d'Afra. Le soleil au zénith flamboyait dans un bleu sans nuages. On n'en était qu'à la première semaine de Gorathin, soit beaucoup trop tôt pour qu'il se montrât si chaud. Tout semblait indiquer que la sécheresse allait durer une saison de plus.
Néanmoins, de la neige scintillait encore là-haut, sur les cimes. De temps à autre, le vent y ébouriffait un plumet blanc qui, se détachant sur le ciel bleu cru, suscitait une illusion cruelle de fraîcheur, alors qu'ici dessous la passe étroite suffoquait, sans la moindre brise pour la rafraîchir. En n'importe quel autre lieu, Iya n'aurait pas manqué d'évoquer un soupçon de vent, mais aucune magie n'avait licence de s'exercer à moins d'une journée de chevauchée d'Afra.
Devant elle, Arkoniel roulait sur sa selle, telle une cigogne hirsute et dégingandée. La sueur trempait tout le long du dos la tunique en lin du jeune magicien que maculait l'équivalent gris d'une semaine de poussière accumulée par les chemins. Jamais il ne se plaignait ; l'unique concession qu'il eût faite à la canicule était d'avoir sacrifié les bribes éparses de barbe noire qu'il cultivait depuis le dernier Erasin, date de ses vingt et un ans.
Pauvre garçon, songea affectueusement Iya ; la peau tout juste rasée se montrait déjà sévèrement rôtie par le soleil.
Du fait que l'Oracle d'Afra, leur destination, se trouvait en plein cœur des montagnes épineuses de Skala, s'y rendre était une épreuve exténuante en toute saison. Ce long pèlerinage, Iya l'avait accompli déjà par deux fois, mais jamais en été.
Les parois de la passe étranglaient à présent le chemin, et des siècles de quémandeurs avaient écorché la roche noire en y traçant leurs patronymes et leurs suppliques à Illior l'Illuminateur. Certains s'étant contentés d'y graver le fin croissant de lune du dieu, celui-ci bordait la route comme autant d'innombrables sourires en biais. Arkoniel y était allé du sien, dans la matinée, pour commémorer sa première visite.
Le cheval d'Iya trébucha, et ce qui motivait le voyage rebondit durement contre sa cuisse. À l'intérieur du sac de cuir usé qu'elle avait suspendu à l'arçon de sa selle se trouvait, minutieusement emmitouflé de linges et de magie, un vilain bol tout de traviole en terre brûlée. Il n'avait rien de remarquable, hormis que pour peu qu'on le laissât à découvert en irradiait une effroyable aura de malignité. Certes, Iya ne s'était pas fait faute, et cent fois pour une, au fil des ans, de se figurer qu'elle le jetait du haut d'une falaise ou dans les flots d'une rivière, mais elle en aurait été aussi incapable, à la vérité, que de se trancher un bras. Elle était le Gardien ; ce que contenait le sac, elle en avait la charge depuis plus d'un siècle.
À moins que l'Oracle ne me dise le contraire. Après s'être noué sur le sommet du crâne ses maigres cheveux grisonnants, elle éventa de nouveau sa nuque en nage.
Arkoniel se retourna sur sa selle pour s'inquiéter d'elle. La sueur emperlait ses boucles noires et rebelles, sous les bords flapis de son couvre-chef.
"Vous avez le visage tout rouge. Nous ferions mieux de nous arrêter de nouveau pour nous reposer.
- Non, nous sommes presque arrivés.
- Dans ce cas, reprenez au moins un peu d'eau. Et remettez donc votre chapeau !
- Tu me donnes le sentiment que je suis vieille. Je n'ai que deux cent trente ans, sais-tu ?
- Deux cent trente-deux", rectifia-t-il avec une grimace pince-sans-rire. C'était un de leurs vieux jeux.
Elle prit un air revêche.
"Attends seulement d'avoir atteint ton troisième âge, mon gars. Tenir le compte, ça devient plus dur."


Bonne surprise que ce Royaume de Tobin. Ou comment renouveler le roman d'apprentissage notamment par l'introduction de la confusion des sexes.
Chronique complète à l'issue de la lecture du cycle.

Les Hérauts de Valdemar - Tome 1 - Mecedes Lackey

Les Flèches de la Reine.

Quatrième de couverture (pas le courage d'écrire un résumé) :
À treize ans Talia sera bientôt mariée de force et devra se comporter en épouse docile. Pourtant son esprit est rempli de légendes au sujet des Hérauts de Valdemar et elle ne souhaite qu’une chose : échapper à cette servitude. Aussi pense-t-elle vivre un rêve lorsqu’elle croise la route d’un Compagnon, un de ces chevaux légendaires qui choisissent les Hérauts. Et lorsqu’elle s’engage à le suivre, elle ne se doute pas des implications et du lien qui les unit désormais… Car Rolan n’est pas un Compagnon ordinaire, et en choisissant la jeune fille, il l’a chargée d’une tâche bien lourde : celle de veiller sur la petite princesse héritière, Elspeth. Et cette tâche s’avèrera très dangereuse, car le royaume compte beaucoup d’ennemis prêts à pousser à la folie et même à tuer celle qui doit devenir le Héraut Personnel de la Reine.

Je ne fais manifestement pas partie du public visé. J'ai au moins quatre fois l'âge requis et j'ai une barbe que n'auront jamais les personnes appartenant au coeur de cible. Du coup, je me suis demandé s'il fallait que je fasse ma chronique comme si j'étais une adolescente de 13 ans, c'était pas gagné, ou bien tout simplement comme le quinquagénaire barbu que je suis. J'ai choisi la seconde solution. Après tout, un bon roman doit avoir des qualités universelles quel que soit le public auquel il s'adresse.
Et là, j'ai eu beau chercher, de telles qualités le livre en est totalement dénué.
Son défaut principal, mais hélas pas unique, réside dans ses personnages et en particulier celui de l'héroïne, Talia. L'ennui c'est qu'elle est omniprésente. Le récit aurait été fait à la première personne qu'on ne l'aurait pas vue davantage. Figurez-vous qu'elle a toutes les qualités cette enfant. Tout lui réussi. Elle n'échoue jamais dans tout ce qu'elle entreprend. Elle découvre chaque jour de nouveaux Dons. Elle est plus mûre que la plupart des adultes, la Reine comprise (qui au passage m'a l'air d'une parfaite idiote). Parfaite quoi. Du genre qu'on a envie de claquer. A qui on a envie de dire : " Mais soit humaine bon sang ! Trompe-toi ! Fais-des conneries ! "
Quant aux personnages qui l'entourent, leur psychologie est réduite à la plus simple expression. Ils sont gentils ou méchants. A ce propos, assez curieusement, les méchants n'ont pas vraiment de visages, d'identité. Ce sont des ombres, des silhouettes, parfois un nom, rarement. On ne sait rien d'eux.
Par contre les gentils sont bien présents. Ils se comptent par dizaines. Le Collegium (l'école où Talia apprend son métier de Héraut) en est plein. Ils sont tous d'une telle bonté qu'elle en dégouline. J'ignore comment ils arrivent à se déplacer sans rester coller sur place.
Reste l'histoire, d'un classique consommé. La totalité du roman se passe dans le Collegium. Il s'agit ici du typique tome d'introduction-initiation. Et quand par hasard l'action sort un peu du cadre de l'enseignement de Talia c'est pour être traitée à la va-vite. Même le lien entre Talia et son Compagnon manque de développement.
L'ensemble du livre est d'ailleurs traité sans aucune profondeur. On survole tout de trop haut. On ne fait qu'effleurer les choses. Même les passages prometteurs, où quelques sujets intéressants et/ou originaux sont abordés, ne sont traités qu'en surface. Je pense notamment à l'homosexualité qui méritait certainement plus que ces quelques allusions.
Le problème de la prise en main de la princesse Elspeth, qui est quand même la fonction numéro un de Talia, ne surgit réellement qu'assez tard. On a le sentiment que l'auteure s'est dit soudain : " Ah oui, j'avais oublié la princesse. Bon, faut que j'en parle. "
Ah, et puis un mot quand même de la couverture. J'ai peu l'habitude de m'en plaindre préférant parler du contenu que du contenant, mais là, trop c'est trop. Plus kitch tu meurs !

Non décidément, la pilule n'est pas passée. Pour ceux qui veulent lire de la fantasy féminine tout public, je ne saurais trop conseiller Robin Hobb, autrement plus ambitieuse. Pour les liens homme-animal, La ballade de Pern d'Anne McCaffrey. Et pourquoi pas, cette auteure encore assez peu connue me semble-t-il : Lynn Flewelling. Son Royaume de Tobin est ma foi fort intéressant et fera l'objet d'une chronique lorsque j'aurais terminé le cycle.

Elle en parle :

samedi 27 février 2010

La Route - Cormac McCarthy

Un homme et son fils marchent sur une route dans une Terre dévastée par on ne sait quelle catastrophe. Un soleil éternellement voilé a laissé s'installer un hiver perpétuel. Craignant que le climat ne leur soit fatal, le père décide de partir vers le sud. Mais quel espoir les attend dans ce monde dont la faune et la flore ont disparu et dont les rares humains restant sont animés d'intentions peu bienveillantes ? Avec la pénurie de nourriture est apparu un nouveau fléau : le cannibalisme.

Jacques Prévert a écrit : " Si le rire est le propre de l'homme, le sale n'est pas de pleurer. Sauf si on le fait exprès. " Le faire exprès n'a pas été mon cas. Pourtant j'en ai versé des larmes. Des vraies. Des qui mouillent.

La faute d'abord au style de l'auteur. Beaucoup de phrases courtes alternant avec des phrases plus longues mais hachées par une abondance de la conjonction et mise là souvent en guise de virgule, souvent absente, elle. Aucun tiret de dialogue. De sorte que les conversations entre le père et le fils se noient en quelque sorte dans le reste du texte. Du coup nous sont épargnés les sempiternels : dit-il, répondit-il, ajouta-t-il, qui parsèment habituellement les dialogues dans les romans. On a le sentiment qu'en renonçant à ces petits mots parasites, l'auteur-narrateur s'efface au profit des mots de ses personnages. En revanche l'auteur use et abuse de certains mots destinés à bien nous pénétrer de l'ambiance qu'il entend poser. C'est ainsi que l'adjectif gris ou le substantif cendres, pour ne prendre que ces exemples, reviennent régulièrement. Pour ainsi dire à chaque page. Le texte est enfin composé de paragraphes extrêmement courts qui sont autant de cailloux déposés sur la route. Chacun d'eux décrit un moment de vie de l'homme et de l'enfant. Parfois, trop rarement, heureux, le plus souvent sans joie. Ce style peut dérouter. Je n'y ai vu que le reflet du monde dans lequel les personnages évoluent : dépouillé à l'extrême, empreint d'urgence.

La faute aux personnages ensuite. Ce père et ce fils. Ils sont tellement, oh oui, tellement, tellement attachants. Lui, l'homme, n'a plus qu'un moteur, qu'une seule raison de vivre, c'est l'enfant. Et il ne s'agit pas d'une formule, d'une façon de parler. Préserver la vie du gamin est la seule et envahissante obsession du père. Et préserver son âme également. Lui enseignant tout ce qui fait d'eux, selon lui, des gentils. Tentant de garder vivante la petite flamme au fond du gamin qui garantit qu'avec lui l'humanité n'a pas encore tout à fait disparue. L'enseignement du père consiste en de courts dialogues à l'issue desquels il tente d'obtenir l'assentiment du petit. Des dialogues qui finissent immanquablement par des : d'accord. D'accord. Comme les paroles magiques d'un rite secret qu'ils sont seuls à partager. L'enfant lui tente vainement d'imaginer le monde d'avant dont lui parle son père, de moins en moins souvent. Il ne s'agit pour le petit que d'un rêve inaccessible et fou. Ils errent ainsi, chacun étant tout pour l'autre. Contraints de faire face quotidiennement à la faim, au froid, à la peur. Parce que dans ce monde dans lequel la vie a été éradiquée, l'homme seul s'obstine à s'accrocher à l'existence. La plupart des humains survivants n'hésitent devant aucun moyen pour manger. Pas même le cannibalisme. L'homme est devenu pour de bon un loup pour l'homme. 

La faute à l'histoire enfin. Ici pas d'actions spectaculaires. Rien que des petits gestes banals mais devenus extraordinaires dans un quotidien qui a changé de visage. La joie du père en trouvant une canette de soda épargnée par les pilleurs, une réserve d'eau fraiche, quelques pommes quasi pourries. L'horreur face à la violence de ceux qui ne reculent devant rien pour survivre. La morsure du froid. La fatigue de la marche. La peur des "méchants". La dureté dont il faut faire preuve devant la misère des autres. Le désespoir face à cette planète sans vie. La Route devrait être obligatoire dans les écoles dans le cadre d'une prise de conscience écologique. Ne serait-ce que pour montrer que la vie sur Terre n'est pas un dû, ne va pas de soi. Mais qu'elle est le résultat d'un équilibre fragile.

Je ne vous révèlerai bien sûr pas le destin du père et du fils. Ca n'a d'ailleurs aucune importance en l'occurrence. Car ce dont il est question tout au long du roman c'est, ni plus ni moins, l'avenir de l'humanité. Et de ce point de vue, rien n'engage vraiment à l'optimisme. Les scientifiques s'accordent à dire que la vie sur Terre est le résultat d'une série d'accidents improbables. Des miracles successifs diront certains. Toujours est-il qu'il suffit d'un nouvel accident majeur pour que cette vie disparaisse de la surface de la planète en quelques années. Le temps d'un clignement d'oeil.

La Route est un roman poignant et magnifique, insoutenable et indispensable. C'est, sans le moindre doute, le meilleur livre d'un point de vue littéraire que j'ai eu l'occasion d'aborder dans le cadre des lectures du Cercle d'Atuan.

Alors vous lirez ce livre ?
Mais ça à l'air tellement triste.
Oui mais c'est beau.
Comment est-ce que ça peut être beau si c'est si triste ?
Parce que ça ne parle que d'amour. Finalement.
D'accord.
D'accord.

Les avis des amis du Cercle d'Atuan.

lundi 22 février 2010

La Geste des Princes-Démons, volume 3 - Jack Vance

Le Palais de l'Amour

Les cinq Princes-Démons, unissant leurs forces lors du raid historique de Mount Pleasant, avaient tué ou mis en esclavage cinq mille hommes et femmes. Rolf Gersen et son petit-fils s'étaient trouvés parmi les rares survivants.
Depuis la tragédie, Kirth Gersen n'a plus qu'une idée en tête : retrouver et tuer les cinq responsables. Cette fois, c'est au troisième assassin qu'il s'attaque, Viole Falushe, connu pour ses débauches et surtout pour ne jamais oublier un affront. Et le faire payer très cher. Gersen va suivre sa trace jusqu'au Palais de l'Amour dont Falushe est le propriétaire. Avant cela, il aura visité la Planète des Empoisonneurs ainsi qu'une usine dont les employés sont des esclaves.

J'ai coutume de faire un parallèle entre chaque épisode de la saga et un genre littéraire ou cinématographique connu. Même si le procédé n'a rien d'utile voire tout bonnement trompeur je ne peux résister au plaisir de m'y livrer une fois de plus. Et ici, j'ai eu tendance à penser, au cours de ma lecture, à quelques ouvrages de la grande Agatha Christie. En particulier certaines aventures d'Hercule Poirot et en particulier celles se déroulant à huis clos. Mort sur le Nil, Les Dix Petits Nègres, Le Crime de l'Orient Express ... A plusieurs reprises, en effet, Kirth Gersen se retrouve dans des groupes parmi lesquels se cache le suspect dont il ignore, comme à l'accoutumée, le visage. A la différence près qu'ici, ce n'est pas le coupable d'un meurtre qu'il cherche, en tout cas pas d'un meurtre récent, mais sa future victime. Il est même secondé en cela par une espèce de capitaine Hastings, un vieux poète à demi fou. Il croisera à plusieurs reprises la route d'un magnifique et mystérieuse jeune femme comme il y en avait parfois dans les romans de la grande Dame de la littérature policière.
Rien donc qui ne soit éminemment sympathique. Pourtant, la sauce cette fois ne prend pas. Le style est toujours aussi fluide et le roman se dévore, là encore, en quelques étapes. Mais il manque un je-ne-sais-quoi qui rendrait l'histoire plus palpitante. Un épisode correct, certes, mais pas à la hauteur des deux précédents.

mardi 16 février 2010

DM04 - Mortimer - Terry Pratchett

Mortimer, dit Morty, est un jeune homme sans talent et malheureusement, sans grand charisme. Le grand soir de la foire à l'embauche, lorsque tous les commerçants et artisans de la région viennent choisir un apprenti, Morty reste le dernier. Jusqu'à une poignée de secondes de la fin de la foire. Et c'est alors qu'un étranger, montant un magnifique cheval blanc, propose à Morty de devenir son apprenti. Mais cet étranger c'est la Mort en personne.
C'est ainsi que Morty devient l'apprenti de la Mort qui, lui, parce que la Mort est de sexe masculin, veut en profiter pour souffler un peu. Mais tandis que le Faucheur d'Ames fait le tour des lieux de débauches, son jeune élève commet une grosse bévue. En épargnant la vie d'une jeune et belle princesse dont il est tombé amoureux, il compromet l'intégrité même de la réalité.

Tout en débutant un peu à la manière de la huitième fille (l'enfant promis à un destin exceptionnel suite à une visite inhabituelle), Mortimer s'en éloigne ensuite très sensiblement. En particulier, on n'y retrouve pas de personnage attachant à la Mémé Ciredutemps. Sans être antipathique, Morty n'est pas non plus vraiment sympathique. Il est surtout préoccupé par ses propres désirs. La vraie surprise est dans le personnage de la Mort qui finit par devenir attachant dans son obsession de parvenir à comprendre ce qui amuse les humains.
Rien d'autre à ajouter concernant les qualités de ce roman sans répéter une nouvelle fois les mêmes choses. Même si chaque épisode est indépendant et différent des autres, l'ensemble des romans du Disque-Monde possèdent tous, jusqu'à présent, un ton commun et des qualités communes. Mortimer confirme en tout cas bien le virage pris depuis La huitième fille. L'histoire gagne en épaisseur mais ce n'est pas au détriment de l'humour, toujours bien présent.
J'avoue une petite préférence pour le moment pour le troisième opus de la série. Même si ce quatrième roman comporte quelques scènes d'anthologie. Je pense notamment à l'apparition au combien perturbante au sein de l'Université Invisible d'un mage très ancien que tout le monde croyait mort. L'escapade de la Mort qui teste les plaisirs humains. Un combat dans la maison de la Mort au beau milieu des sabliers donc chacun représente la vie d'un humain et qui va provoquer quelques décès prématurés.
Un bon cru donc, qui se consomme avec toujours le même plaisir.

dimanche 14 février 2010

Cristal qui songe - Theodore Sturgeon

Le jeune Horty n'a que huit ans lorsqu'il s'enfuit de son domicile suite à une énième correction de son père adoptif qui tourne mal. Il est recueilli par un trio de nains qui travaillent dans un cirque ambulant. Le patron du cirque est un homme surnommé le Cannibale qui voue une haine féroce à toute l'humanité et qui ne tolère, mais tout juste, que les monstres de foire dont il s'entoure. Il ne s'intéresse vraiment qu'à sa collection de cristaux étranges qui sont capables de prodiges qu'il tente depuis des années de comprendre et de maîtriser. Horty est couvé par l'aile protectrice de Zena, la naine qui l'héberge, jusqu'au jour où le Cannibale est trop proche de découvrir un éventuel lien entre lui et les cristaux. Horty est obligé de fuir le cirque et de vivre seul, lui qui n'a jamais quitté sa nouvelle famille durant 12 ans.

Ce roman, qui aura bientôt soixante ans, n'a pas pris une ride. Il est écrit dans un style fluide et direct qui ne laisse pas de place aux phrases inutiles avec,  malgré tout, des personnages particulièrement fouillés, les plus attachants comme les plus révoltants. Et il est surtout pétri d'un humanisme qui fait un bien fou surtout dans une société qui n'a pas montré beaucoup de progrès dans ce domaine. L'humain est au coeur de la préoccupation du livre. Avec des questions telles que : qu'est ce qui fait de nous des êtres humains ? Nait-on humain ou le devient-on par imprégnation ?
Et Sturgeon nous gratifie de plus d'un plaidoyer contre l'intolérance et d'une éloge de la différence. Car différents, ils le sont tous ces personnages que les contemporains de l'auteur n'hésitaient pas à qualifier de monstres. Les choses ont-elles tellement changées depuis ? Voir.
L'auteur aborde également, entre autres, le problème de la condition des femmes de l'époque. L'une d'elle doit par exemple sacrifier sa propre vie pour permettre à son frère de poursuivre ses études. Sans compter les propositions déplacées d'hommes qui, eux, ont le pouvoir.
Pour comporter nombre de messages humanistes, le roman n'en reste pas moins une formidable aventure, en particulier pour Horty. Sturgeon parvient tout le long du roman à nous tenir en haleine. Plus nous avançons dans la lecture plus les questions affluent. L'auteur distille savamment et presque diaboliquement quelques éléments de réponse, mais ceux-ci amènent souvent encore davantage de questions.
Reste que la fin pourra en déranger certains. Moi elle m'a dérangé. Mais ce ne saurait être une raison pour condamner l'ensemble. Il ne s'agit que d'un Happy End un tantinet agaçant. En revanche, Sturgeon a su éviter une conclusion par trop évidente. Il faut lui reconnaitre ça.
Un excellent livre donc, un bon vieux classique que je ne saurais trop vous encourager à essayer.

Vous trouverez dans ce lien l'ensemble des critiques des autres membres du Cercle d'Atuan de cette lecture mais également des autres lectures.

mercredi 10 février 2010

Les chronolithes - Robert Charles Wilson

Nous sommes en 2021. Scott Warden est un américain en poste en Thaïlande au moment même de l'apparition, sur place, d'un gigantesque obélisque bleu, surgi de nulle part. Le curieux monument commémore la victoire d'un certain Kuin qui aurait eue lieu ... vingt ans et trois mois dans le futur. Ce n'est que le premier de tout une série de chronolithes, comme ils sont appelés, qui vont apparaître sur la planète et dont certains vont se révéler particulièrement dévastateurs. Scott, devenu l'assistant de Sulamith Chopra, son ancien professeur, va poursuivre les chronolithes à travers le monde pour essayer de percer leur mystère et, pourquoi pas, empêcher l'avènement annoncé de ce futur dictateur. Il va ainsi aller de Thaïlande à Jerusalem, du Mexique au Wyoming, où il se heurtera à chaque fois à des fanatiques disciples de Kuin dont personne ne sait qui il est. Et s'il n'était qu'un mythe ?

J'ai envie de dire : enfin un excellent Wilson, tant il est vrai que les précédents romans de l'auteur m'avaient assez peu convaincu. Soyons honnête, j'avais été prévenu. Spin, l'un des tous derniers, m'a été présenté comme un chef d'oeuvre et, de loin, bien meilleur que le reste de la production. C'est pour cette raison que j'ai décidé de lire les romans de Wilson par ordre de parution ce qui est bien plus plaisant que d'avoir commencé par Spin, auquel cas j'aurais été de déception en déception.
Avec Les chronolithes nous avons affaire à un roman parfaitement abouti. Comme à l'habitude, l'écriture est plaisante, le propos intelligent, les personnages attachants, l'idée de départ originale. Mais toutes ces qualités sont poussées ici à leur paroxysme. La personnalité de Scott est ici particulièrement creusée. Et ce d'autant plus que c'est lui le narrateur s'exprimant à la première personne. Du coup, rien ne nous est caché ni des chronolithes, du moins de ce qu'il sait et de ce qu'il en comprend; ni de sa vie personnelle et des drames qui la jalonnent; ni même de l'état du monde dans cette première moitié du vingt et unième siècle et de la crise économique majeure qui le frappe (eh oui, encore). Et ce qui nous le rend encore plus proche c'est qu'il a ses propres soucis domestiques comme tout un chacun et que, malgré sa proximité avec des experts, il est dépassé par le phénomène des chronolithes.
Mais les progrès réalisés dans les qualités d'écriture habituelles de Wilson ne seraient rien sans la disparition des défauts qui ont pu entachés quelques unes de ses oeuvres précédentes. Ici au moins, l'idée de départ est exploitée jusqu'au bout. Et si les paradoxes temporels ne datent pas d'hier, l'auteur a su ici les renouveler avec brio. Il nous invite à réfléchir sur un certain nombres de questions intéressantes. En particulier sur l'utilité de vouloir lutter contre quelque chose qui semble inéluctable. Après tout, ces chronolithes commémorant des victoires de Kuin viennent du futur. Les victoires de ce nouvel Alexandre sont donc acquises. Peut-on modifier un futur qui serait déjà écrit ? Ou bien sommes nous capables, à force de ténacité et de courage de ré-écrire l'histoire ? Et en voulant à tout prix découvrir le fonctionnement des chronolithes, ne va-t-on pas tout simplement livrer cette technologie à Kuin ?
Autre défaut de certains autres ouvrages de Wilson, le manque d'homogénéité. Ce n'est pas le cas ici. Bien que le livre soit divisé en trois parties bien distinctes, l'ensemble forme un tout cohérent. C'est sans doute dû au personnage de Scott, qui en témoin de tous les évènements qui se déroulent dans le roman, réussit à rendre l'ensemble homogène; mais pas seulement. Même si la deuxième partie peut sembler très éloignée des deux autres, elle n'en constitue pas moins, à la fois un passage extrêmement prenant à lire mais également un pont entre les deux autres parties. Nous assistons en effet dans ce milieu du roman à une sorte d'enquête, de course poursuite entre des parents et des adolescents devenus des fanatiques de Kuin et qui organisent des pèlerinages vers les chronolithes. Une façon pour eux de rendre hommage à celui qu'ils voient comme un sauveur. D'autant que Wilson en profite pour nous dresser un tableau assez sombre de l'époque où il situe son histoire. La crise économique est particulièrement violente. Jamais l'avenir n'a paru si sombre depuis qu'il est venu s'immiscer dans le présent. La guerre n'est plus une crainte, c'est devenu une réalité. Comment ne pas comprendre, sans les excuser, que certains jeunes voient en Kuin celui qui saura les sortir de la crise ?
Paradoxe intéressant. Si des jeunes (et moins jeunes) croient en Kuin c'est parce que le monde est en crise. S'il est en crise, c'est à cause de la guerre à venir, menée par Kuin. En quelque sorte, si Kuin existe c'est parce que des gens ont cru en lui au moment alors qu'il n'existait pas encore.
Dans ces conditions, comment vaincre un homme soutenu par des fanatiques toujours plus nombreux, plus organisés, plus déterminés ?
La réponse finale est un modèle du genre.
Du grand, du très grand Wilson. A lire sans attendre et sans modération.

Voir également l'avis des voisins de la blogosphère Efelle et Hugin & Munin et Gromovar.

mardi 9 février 2010

Trois coeurs, trois lions - Poul Anderson

suivi de Deux Regrets

Alors qu'il combat sur une plage du Danemark lors de la seconde guerre mondiale, Holger Carlsen, un américain d'origine danoise, se retrouve projeté dans un monde médiéval étrange. Il y découvre un destrier, une armure et des armes qui semblent n'attendre que lui. S'étant équipé, il part à la recherche de quelqu'un susceptible de lui expliquer où il se trouve et mieux encore, comment il peut retourner chez lui. C'est ainsi qu'il trouve sur son chemin une sorcière qui lui suggère d'aller voir le duc Alfric, un seigneur de Faerie, le royaume magique voisin. Elle lui fournit même un guide, Hugi le nain. Sur la route ils rencontrent Alianora, une belle jeune fille qui possède le pouvoir de se transformer en cygne. Elle décide de les accompagner. Commencent alors pour Holger une série d'aventures d'autant plus étonnantes qu'on semble le prendre pour un autre.

Je le dis souvent, mais c'est vrai, les romans ayant pour sujet une (ou des) personne(s) propulsé(s) dans un monde parallèle sont légions. En même temps, Anderson a publié ce livre pour la première fois en 1961. Et à cette époque-là, nul doute que ce genre était nettement moins développé. Oublions donc le côté faussement réchauffé de l'histoire. Il nous reste un récit que son style rend particulièrement facile et agréable à lire. La raison est sans doute a chercher du côté de la traduction qui a été révisée pour cette édition.
L'histoire en elle même est malheureusement assez décousue. Un bon nombre de chapitres peuvent tout à fait passer pour des nouvelles. D'autant que souvent, leur retrait de la trame générale n'aurait probablement pas nuit à l'intégrité de l'ensemble. Plus ennuyeux, beaucoup des aventures narrées dans certains chapitres ne trouvent pas réellement de conclusion satisfaisante. Certains personnages disparaissent alors qu'on s'attendait à leur voir jouer un rôle plus important. On parle beaucoup de personnages célèbres, réels ou imaginaires, mais sans les croiser. Il en est ainsi de Charlemagne ou d'Arthur. A peine croise-t-on une Morgane assez fade. Les épisodes s'enchainent donc comme des perles sur un collier. Aucune ne brille d'un éclat particulier. Les combats se suivent, mettant aux prises le héros avec une galerie de monstres classiques : zombie, loup-garou, géant, troll.
Au final, rien de bien palpitant.

A la suite du roman, on peut lire deux nouvelles assez courtes, en particulier la première. Elles se déroulent toutes les deux dans le même univers. Une auberge qui se déplace à travers le temps et les univers parallèles, accueille régulièrement des personnalités. C'est ainsi que le narrateur y croise : Léonard de Vinci, Einstein, Villon, Winston Churchill ... et bien d'autres. Là encore, Anderson papillonne d'un personnage à l'autre sans vraiment se fixer. Dommage car l'idée était bonne et l'ambiance assez magique.