samedi 5 décembre 2015

The Martian - Andy Weir

Résumé (de la version française) :
Mark Watney est l’un des premiers humains à poser le pied sur Mars. Il pourrait bien être le premier à y mourir.
Lorsqu’une tempête de sable mortelle force ses coéquipiers à évacuer la planète, Mark se retrouve seul et sans ressources, irrémédiablement coupé de toute communication avec la Terre.
Pourtant Mark n’est pas prêt à baisser les bras. Ingénieux, habile de ses mains et terriblement têtu, il affronte un par un des problèmes en apparence insurmontables. Isolé et aux abois, parviendra-t-il à défier le sort ? Le compte à rebours a déjà commencé…

Je me permets d'ouvrir tout d'abord une parenthèse que je refermerai aussitôt, rassurez-vous. Ou bien j'ai beaucoup de chance, ou de flair, ou une méthode de sélection rigoureuse, mais depuis un bon moment maintenant, je ne lis que des romans dont le moins bon est déjà très, très bien. Et ce dernier en date ne vient pas déparer l'ensemble, bien au contraire.
Pourtant, un type tout seul, dans un monde hostile et qui n'a personne à qui parler, ça peut paraître peu engageant et ça rappelle (un peu) un roman que j'ai (re)lu et chroniqué il y a peu, I am legend (Je suis une légende). Là aussi, je m'interrogeais sur la difficulté à rendre intéressant un personnage dans cette situation. Sauf que là, sur Mars en l'occurrence, le quotidien de notre Robinson spatial, n'a rien de commun avec le notre. Ou plutôt, les choses les plus banales demandent ici une réflexion, une préparation et des précautions exceptionnelles. Et du coup on suit avec intérêt toutes les tentatives de l'astronaute pour survivre, en tout cas le plus longtemps possible, en nous demandant à chaque fois ce qu'il va bien pouvoir trouver comme idée et si celle-ci va se révéler efficace et sans risque.
Ce livre, c'est tout ce que j'aime, ou peu s'en faut. Il m'a replongé dans mon adolescence, dans la mesure où il me rappelle L'île mystérieuse, l'un de mes Jules Verne préférés. Oui, je sais, vous vous attendiez à ce que je cite plutôt Robinson Crusoé mais, croyez-le ou non, je n'ai jamais lu le roman de Daniel Defoe. Tandis que L'île mystérieuse, je connais bien. aussi, les personnages ne doivent leur survie que grâce à leurs connaissances scientifiques qui leur permettent de tirer le meilleur parti de ce que la nature a à leur offrir.
 Et notre néo-martien n'épargne pas ses cellules grises pour trouver comment palier à l'insuffisance, voire à la quasi absence, de ressources vitales pour lui. Je veux parler, pour ne retenir que l'essentiel, de la nourriture, de l'eau et d'un air respirable. Bien sûr, tout cela a été prévu au départ, la mission prévoyant une trentaine de jours de ressources pour 6 personnes. La NASA calculant toujours large (si on en croit Mark Watney), il lui reste en réalité 50 jours de réserves pour 6 personnes, soit 300 jours pour un homme seul, et sans se rationner. Ce qui peut paraître beaucoup. À ceci près que la prochaine mission prévue doit arriver dans... près de quatre ans. Si elle arrive. Les réserves sont tout de suite moins importantes, n'est-ce pas ?
J'ai adoré suivre les réflexions particulièrement poussées de notre naufragé. J'aime à croire que l'humain, aussi faible soit-il, physiquement, comparé au reste du monde animal, dispose d'un outil qui le rend apte à survivre dans les environnements les plus hostiles, je veux parler de son cerveau, bien sûr. Même si moi, dans la même situation, je serais mort le premier jour. La première heure.
J'ai failli oublier de vous parler de l'humour, pourtant omniprésent, de l'astronaute. Il faut savoir que le texte qui nous est proposé est censé être (pour au moins une bonne partie, en tout cas) son journal. Et qu'il a pris le parti de rire de tout ce qui lui arrive. N'oublions pas que tout ce qu'il nous livre ne l'est qu'a posteriori, et qu'il a eu le temps de digérer toutes les catastrophes qu'il traverse. Je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager quelques unes de ses premières réflexions humoristiques. En avant pour une traduction sans filet :
 Mais je suis un botaniste, bon sang. Je devrais trouver un moyen de m'en sortir. Sinon, dans un an, je serai un botaniste vraiment affamé.
 Mon anus en fait autant pour ma survie que mon cerveau (évoquant le seul engrai dont il dispose).
J'ai aussi du ruban adhésif. Du ruban ordinaire, qu'on trouve dans les magasins de bricolage. Il s'avère que même la NASA ne peut améliorer le ruban adhésif.
En parlant d'un pc portable qu'il veut essayer de faire fonctionner à l'extérieur :
Il est mort instantanément. L'écran est devenu noir avant même que je sorte du sas. Il s'avère que le «L» dans «LCD» signifie «Liquide». Je suppose qu'il a dû geler ou s'évaporer. Peut-être que j'enverrai un avis utilisateur. «J'ai emporté le produit à a surface de Mars. Il a cesé de fonctionner. 0/10.»
Lors d'un dialogue entre deux membres de la NASA, sur Terre :
«On pourrait accélérer les choses avec un temps de transmission plus court,» dit Jack.
Venkat lui lança un regard perplexe. «Vous avez un plan pour rapprocher Mars de la Terre ?»
Bon, il y en a beaucoup d'autres, peut-être plus drôles encore, mais je pense que cet échantillon vous donne une idée assez précise du ton de l'ensemble.
Maintenant, s'il fallait chercher ce en quoi peut pécher ce roman, citons peut-être le nombre exceptionnels de rebondissements. On ne compte plus le nombre de fois qu'une «expérience» de Watney tourne mal et manque de lui coûter la vie et le nombre de fois où il s'en sort pour mieux recommencer. Il y a un côté systématique qui peut finir par agacer. En même temps, à la décharge de l'auteur, la vie sur la planète rouge est si aléatoire qu'on peut comprendre que rien ne se passe comme prévu. 
Un autre petit sujet d'agacement possible est la transformation du récit en un véritable panégyrique de la NASA. L'agence est montrée sous son meilleur jour et elle semble consister en une pléthore de types tous plus géniaux les uns que les autres. En même temps, n'en déplaise aux grincheux, force est de reconnaître que la NASA a à son actif un certain nombre de missions exceptionnelles et qu'elle nous a prouvé par le passé sa capacité à trouver des solutions aux problèmes les plus ardus.
On peut aussi trouver le récit un poil trop long. Non pas qu'il devient ennuyeux mais parce qu'on a hâte de savoir comment cela se termine. Dans le détail. Parce que, dans l'ensemble, on a bien une petite idée.
D'aucuns pourraient aussi trouver les détails techniques un peu trop... techniques. C'est le prix à payer, me semble-t-il, de la vraisemblance, du réalisme. De fait, même si on ne comprend pas tout dans les moindres nuances, on a une bonne idée de ce qui se passe grâce aux explications dont le narrateur n'est pas avare.
Enfin, pour être tout à fait complet, j'avoue qu'on peut s'interroger, comme je l'ai fait, sur la quantité colossale d'argent que représentent les solutions envisagées par la NASA pour secourir leur astronaute. Parce que, sans faire du spoil éhonté (enfin, il me semble), je me permets de signaler que : un, la NASA se rend compte qu'il a survécut et que, deux, elle va tenter de le sauver. Mais je ne peux pas imaginer une seconde qu'une agence gouvernementale comme celle-ci puisse abandonner sur Mars un de ses astronautes, quel qu'en soit le coût. D'autant que le monde entier a les yeux rivés sur l'évènement. 
Pour résumer, ce roman est un vrai plaisir de lecture et ferait sûrement un excellent film. Euh, c'est de l'humour. Je sais pertinemment qu'un film a été tiré du livre. Quelque chose me dit même que l'oeuvre cinématographique a plus de notoriété que l'oeuvre littéraire. Ah ! Éternelle injustice du combat film/roman.
Le texte est paru en français sous le titre : Seul sur Mars.

dimanche 29 novembre 2015

The Emperor's soul - Brandon Sanderson

Résumé (de la version française) :
La jeune Shai a été arrêtée alors qu’elle tentait de voler le Sceptre de Lune de l’Empereur. Mais au lieu d’être exécutée, ses geôliers concluent avec elle un marché : l’Empereur, resté inconscient après une tentative d’assassinat ratée, a besoin d’une nouvelle âme. Or, Shai est une jeune Forgeuse, une étrangère qui possède la capacité magique de modifier le passé d’un objet, et donc d’altérer le présent. Le destin de l’Empire repose sur une tâche impossible : comment forger le simulacre d’une âme qui serait meilleur que l’âme elle-même ? Shai doit agir vite si elle veut échapper au complot néfaste de ceux qui l’ont capturée.

Shai est une Faussaire (Forger en anglais), ou comme l'indique la quatrième de couverture de la version française, une Forgeuse. Si elle est capable de réaliser la copie parfaite d'un tableau ou d'une autre quelconque oeuvre d'art, et qu'elle excelle dans cet art, elle est surtout dotée d'un talent exceptionnel, assimilable à de la quasi magie, qui lui permet de modifier l'essence même de tout objet, quel que soit le matériau dont il est fait : bois, pierre, métal, verre... Elle peut même, si on lui demande gentiment, ou si on la contraint par la menace, modifier ou recréer l'âme d'un être humain.
C'est ce que vont exiger d'elle les Arbitres (arbiters) de l'empereur Ashravan, les personnes les plus haut placées de l'empire. Le monarque a été victime d'un attentat qui lui aurait coûté la vie sans l'intervention de ses chirurgiens qui n'ont cependant pas pu faire mieux que de faire de lui un légume. Shai va donc devoir Forger à l'empereur une âme toute neuve et, tant qu'à faire, aussi proche possible de l'originale. Ce qui revient à connaître parfaitement la personne dont on veut recréer la personnalité. Shai a à sa disposition le journal du souverain, ainsi que les témoignages de ses proches. Reste qu'il y a deux problèmes pour la jeune femme. Tout d'abord, elle n'a que très (trop) peu de temps pour réaliser cet exploit. En second lieu, elle comprend vite que Frava, la chef des Arbitres, n'a aucune intention de lui laisser la vie sauve, comme promis.
Nous allons donc assister aux efforts de Shai pour façonner une nouvelle âme la plus parfaite possible dans le délai qui lui a été accordé. (Façonneuse, ça aurait eu de la gueule aussi pour désigner son activité. Non ?)
Parce que bien entendu,  pas question pour elle de faire du travail au rabais. On a sa fierté, que diable ! Dans le même temps, il faut qu'elle trouve le moyen de s'enfuir dès son oeuvre achevée. Et ça, ça n'est pas facile du tout. Surtout que Shai est enfermée dans sa chambre-atelier grâce à un sortilège disposé sur sa porte par un mage plutôt flippant.
Elle va réfléchir à une multitudes de plans d'évasion tous plus risqués et irréalisables les uns que les autres. Elle songe même à utiliser ses talents aux dépens d'un autre des Arbitres de l'empereur, Gaotona, vieillard à la personnalité bien plus bienveillante que celle de Frava (en même temps, ce n'est pas bien difficile), mais qui est également, malheureusement pour elle, intègre, incorruptible et insensible à toutes les tentatives de Shai.
 La lecture de ce court roman m'a été particulièrement agréable. La personnalité de Shai est très attachante et c'est avec une vraie inquiétude pour sa survie que l'on suit ses aventures. Elle est entourée de deux personnages, Gaotona et Frava, peut-être un soupçon moins travaillés mais intéressants tout de même.
À lire, pour sa fraicheur, sa «magie» originale (comme souvent chez Sanderson), son suspense et, accessoirement, son prix Hugo du meilleur roman court 2013.
Le roman est paru en français sous le titre : L'Âme de l'Empereur.

We are all completely fine - Daryl Gregory

Résumé (de la version française)
Il y a d’abord Harrison, qui, adolescent, a échappé à une telle horreur qu’on en a fait un héros de romans. Et puis Stan, sauvé des griffes d’une abomination familiale l’ayant pour partie dévoré vif. Barbara, bien sûr, qui a croisé le chemin du plus infâme des tueurs en série et semble convaincue que ce dernier a gravé sur ses os les motifs d’un secret indicible. La jeune et belle Greta, aussi, qui a fui les mystères d’une révélation eschatologique et pense conserver sur son corps scarifié la clé desdits mystères. Et puis il y a Martin, Martin qui jamais n’enlève ses énormes lunettes noires… Tous participent à un groupe de parole animé par le Dr Jan Sayer. Tous feront face à l’abomination, affronteront le monstre qui sommeille en eux… et découvriront que le monstre en question n’est pas toujours celui qu’on croit…

J'avoue, à ma grande honte, que je ne connaissais pas Daryl Gregory. J'avais bien lu son nom, ici ou là, cité par des personnes dont le bon goût n'est plus à démontrer. Mais je n'avais pas encore lu d'oeuvre du monsieur. Bon, en même temps, son premier roman (Pandemonium) est paru en 2008 (si Wikipedia ne m'abuse). Je ne suis pas trop à la ramasse non plus. Et puis, je ne peux pas être partout.
Mais voilà, l'oubli est réparé et c'est comme ça que je me suis lancé dans la lecture de ce court roman (prix World Fantasy du meilleur roman court).
Comme je ne savais pas à quoi m'attendre, je me suis gentiment laissé entraîner par l'auteur dans son histoire. C'est ainsi que j'ai pu découvrir, très lentement, au gré de leur désir de se livrer aux autres, la personnalité de chaque membre du groupe. Moi qui n'aime rien tant que la qualité, l'épaisseur des personnages, je fus comblé. Pensez donc, six personnes, en comptant la psychothérapeute. Toutes aussi importantes dans l'histoire les unes que les autres. Et s'agissant d'un groupe de parole, donc de gens censés se livrer, plus ou moins rapidement et plus ou moins en profondeur, quelle mine de portraits psychologiques !
De plus, chaque patient a été victime d'un violent traumatisme. Sans être tout à fait dingues, ils sont quand même un peu barrés. De ce fait, on ne sait jamais si ce qu'ils racontent est vrai ou bien si c'est le résultat d'une imagination exacerbée. Et laissez-moi vous dire que si ce qu'ils disent est vrai, il y a du souci à se faire.
C'est ainsi que l'on bascule tout doucement d'un contexte assez ordinaire vers quelque chose de plus en plus angoissant. À tout bien réfléchir, la partie fantastique du roman est assez originale mais sans plus. Le vrai intérêt me semble résider définitivement dans les relations qui se développent entre les membres du groupe. Quoi qu'il en soit, l'ensemble est agréable à lire et le tout étant très court, pas le temps de s'ennuyer une seule seconde. Je crois même que j'aurais souhaité que le texte fût un poil plus long pour développer un peu le passé de chaque personnage.
Pour ceux qui voudraient tenter l'aventure en anglais, sachez que le style est vraiment accessible, pas du tout alambiqué, avec des phrases courtes et que le vocabulaire est de ceux qui m'ont posé le moins de problème jusqu'à maintenant. J'estime à 90 si ce n'est 95 % l'ensemble des mots ne m'ayant procuré aucune difficulté. 
Ce roman est paru en français sous le titre : Nous allons tous très bien, merci

Farthing - Jo Walton

Résumé (de la version française) :
Huit ans après que «la paix dans l'honneur» a été signée entre l'Angleterre et l'Allemagne, les membres du groupe de Farthing, à l'origine de l'éviction de Churchill et du traité qui a suivi, fin 1941, se réunissent au domaine Eversley pour le week-end. Bien qu'elle se soit mariée avec un Juif, ce qui lui vaut d'habitude d'être tenue à l'écart, Lucy Kahn, née Eversley, fait partie des invités. Les festivités sont vite interrompues par le meurtre de Sir James Thirkie, le principal artisan de la paix avec Adolf Hitler. Sur son cadavre a été laissée en évidence l'étoile jaune de David Kahn. Un meurtre a eu lieu à Farthing et un coupable tout désigné se trouvait sur les lieux du crime. Convaincue de l'innocence de son mari, Lucy trouvera dans le policier chargé de l'enquête, Peter Antony Carmichael, un allié. Mais pourront-ils ensemble infléchir la trajectoire d'un Empire britannique près de verser dans la folie et la haine? 

Quand on attaque Farthing, on se croit plongé dans un authentique roman policier de Lady Agatha Christie. Tout y est, à peu de chose près. La splendide demeure, la famille de la haute société et ses proches, avec ce que cela comporte de jalousie, de ressentiment, de haine. Sans oublier la pléthore de domestiques. Et le meurtre, bien sur. Ne manque que le fameux Hercule Poirot. Encore que nous avons un policier compétent au moins aussi doué que le célèbre détective belge.
C'est tout juste si l'auteure développe les éléments de l'uchronie qu'elle a évoquée timidement dans les premières pages. Tout ce que l'on sait, c'est que dans cette version de l'Histoire, l'Angleterre a signé un traité de paix avec l'Allemagne nazie. Pour un lecteur inattentif (ou très, très mauvais en Histoire), le fait passerait presque inaperçu.
Pourtant, le monde n'est assurément pas ce qu'il est censé être à l'époque. Nous sommes en 1949 et non seulement Hitler n'a pas encore perdu la guerre mais il a bel et bien réussi à conquérir l'Europe. Seule l'URSS continue à lui tenir tête sur le front de l'est. Cette réalité alternative fait froid dans le dos. D'autant plus que l'extermination des Juifs du continent se poursuit dans l'indifférence générale.
Indifférence d'autant plus grande que, même au Royaume Uni, il ne fait pas vraiment bon être Juif. David Kahn en fait l'expérience tous les jours et en particulier dans cette enquête jalonnée d'indices qui conduisent à lui. Et cela arrange tout le monde en dehors bien sûr de son épouse.
Malgré tout, en dehors de quelques éléments qui nous rappellent que le monde qui nous est présenté n'est pas celui qui correspond à la réalité historique, on a longtemps le sentiment que la partie purement policière du roman aurait pu tout aussi bien se dérouler dans la «vraie» Histoire. Du coup, pourquoi imaginer cette uchronie, se demande-t-on ?
Sauf que lentement, très lentement, la petite histoire du meurtre rejoint la grande Histoire. Tout se met en place comme les pièces d'un puzzle et l'image d'ensemble prend doucement corps. Et on finit par se dire : mais oui ! mais c'est bien sûr !
 De toutes les choses particulièrement réussies dans ce roman (et il y en a), il faut distinguer l'ambiance, particulière au domaine de Farthing ou à tout le Royaume Uni, spécialement bien rendue. L'un des personnages dit à un moment donné (allez, je me lance dans une traduction personnelle,) : «Je lui ai dit que c'était insensé, que nous ne connaîtrions jamais le fascisme ici (en Angleterre) parce que les gens sont, par essence, convenables.» Et j'avoue avoir tendance à penser que le personnage n'a peut-être pas tort. J'ai beaucoup de mal à imaginer les britanniques renonçant à une démocratie plus ancienne (1)  et aussi, voire plus solide que la notre.
Pourtant, la «bonne» société anglaise n'a rien à envier à ses homologues du continent. Elle a le même mépris, voire haine, pour celui qui n'appartient pas à leur monde. J'ai nommé, les Juifs, les homosexuels, les «rouges», j'en passe. Et des Juifs, des homosexuels, des gauchistes, Jo Walton va se faire un plaisir de nous en présenter via ses différents personnages. Une occasion de nous donner à voir l'enfer qu'ils ont tous pu connaître à l'époque et de nous rappeler que, de nos jours, quelques soixante-dix ans après, les choses n'ont pas à ce point évoluées.
Donc, non, pas de fascistes en Angleterre mais  simplement une partie de la société qui en propose une imitation fort réussie. Et puisqu'on parle de société, que je n'oublie pas de dire que tous les personnages sont travaillés avec une minutie jouissive. On se plait à plaindre cette pauvre Lucy qui tombe littéralement de sa chaise au fur et à mesure que l'enquête (et ses propres réflexions) progressent. Dans le même temps, on a tellement envie de la claquer, tellement elle s'est montrée aveugle jusque là. On adore détester sa mère, Lady Eversley, qui va se montrer, au fil des pages, toujours plus abominable. On s'intéresse aussi bien sûr à David Kahn, coupable idéal. Ainsi qu'à Lord Eversley, le père de Lucy, et Carmichael, le policier de Scottland Yard et tous les autres.
A bien y regarder, ce roman est une réussite sur tous les points. Le seul point qui m'a donné un peu de mal, c'est la fin. Ignorant, durant la lecture, qu'il existait une suite, j'ai été un peu surpris par cette fin tellement ouverte, qu'elle pourrait laisser le passage au Queen Elizabeth. Certains arcs narratifs n'ont, à mon sens, pas trouvé de conclusion. Ou alors, pour les considérer comme conclus, il faut une sacré dose d'indulgence.
Telle qu'elle est, en tout cas, et sans trop en dévoiler, cette fin m'a laissé un goût amer. Espérons que la suite nous donnera plus d'occasion de nous réjouir. 
Quoi qu'il en soit, même pris individuellement, ce roman est une pure merveille et je vous invite à le lire, si ce n'est encore fait.
Il est paru en français sous le titre : Le Cercle de Farthing.  
 

(1) Renseignements pris, parce que je suis une bille en Histoire et a fortiori en Histoire Anglaise, la naissance de la démocratie chez nos voisins d'outre-manche, peut être située, soit en 1215 (si, si), au plus tôt, avec la Grande Charte, soit en 1689, au plus tard, avec le Bill of Rights (Déclaration des droits), qui marque le début de la monarchie parlementaire. Soit un siècle pile avant notre Révolution française.