dimanche 29 novembre 2015

Farthing - Jo Walton

Résumé (de la version française) :
Huit ans après que «la paix dans l'honneur» a été signée entre l'Angleterre et l'Allemagne, les membres du groupe de Farthing, à l'origine de l'éviction de Churchill et du traité qui a suivi, fin 1941, se réunissent au domaine Eversley pour le week-end. Bien qu'elle se soit mariée avec un Juif, ce qui lui vaut d'habitude d'être tenue à l'écart, Lucy Kahn, née Eversley, fait partie des invités. Les festivités sont vite interrompues par le meurtre de Sir James Thirkie, le principal artisan de la paix avec Adolf Hitler. Sur son cadavre a été laissée en évidence l'étoile jaune de David Kahn. Un meurtre a eu lieu à Farthing et un coupable tout désigné se trouvait sur les lieux du crime. Convaincue de l'innocence de son mari, Lucy trouvera dans le policier chargé de l'enquête, Peter Antony Carmichael, un allié. Mais pourront-ils ensemble infléchir la trajectoire d'un Empire britannique près de verser dans la folie et la haine? 

Quand on attaque Farthing, on se croit plongé dans un authentique roman policier de Lady Agatha Christie. Tout y est, à peu de chose près. La splendide demeure, la famille de la haute société et ses proches, avec ce que cela comporte de jalousie, de ressentiment, de haine. Sans oublier la pléthore de domestiques. Et le meurtre, bien sur. Ne manque que le fameux Hercule Poirot. Encore que nous avons un policier compétent au moins aussi doué que le célèbre détective belge.
C'est tout juste si l'auteure développe les éléments de l'uchronie qu'elle a évoquée timidement dans les premières pages. Tout ce que l'on sait, c'est que dans cette version de l'Histoire, l'Angleterre a signé un traité de paix avec l'Allemagne nazie. Pour un lecteur inattentif (ou très, très mauvais en Histoire), le fait passerait presque inaperçu.
Pourtant, le monde n'est assurément pas ce qu'il est censé être à l'époque. Nous sommes en 1949 et non seulement Hitler n'a pas encore perdu la guerre mais il a bel et bien réussi à conquérir l'Europe. Seule l'URSS continue à lui tenir tête sur le front de l'est. Cette réalité alternative fait froid dans le dos. D'autant plus que l'extermination des Juifs du continent se poursuit dans l'indifférence générale.
Indifférence d'autant plus grande que, même au Royaume Uni, il ne fait pas vraiment bon être Juif. David Kahn en fait l'expérience tous les jours et en particulier dans cette enquête jalonnée d'indices qui conduisent à lui. Et cela arrange tout le monde en dehors bien sûr de son épouse.
Malgré tout, en dehors de quelques éléments qui nous rappellent que le monde qui nous est présenté n'est pas celui qui correspond à la réalité historique, on a longtemps le sentiment que la partie purement policière du roman aurait pu tout aussi bien se dérouler dans la «vraie» Histoire. Du coup, pourquoi imaginer cette uchronie, se demande-t-on ?
Sauf que lentement, très lentement, la petite histoire du meurtre rejoint la grande Histoire. Tout se met en place comme les pièces d'un puzzle et l'image d'ensemble prend doucement corps. Et on finit par se dire : mais oui ! mais c'est bien sûr !
 De toutes les choses particulièrement réussies dans ce roman (et il y en a), il faut distinguer l'ambiance, particulière au domaine de Farthing ou à tout le Royaume Uni, spécialement bien rendue. L'un des personnages dit à un moment donné (allez, je me lance dans une traduction personnelle,) : «Je lui ai dit que c'était insensé, que nous ne connaîtrions jamais le fascisme ici (en Angleterre) parce que les gens sont, par essence, convenables.» Et j'avoue avoir tendance à penser que le personnage n'a peut-être pas tort. J'ai beaucoup de mal à imaginer les britanniques renonçant à une démocratie plus ancienne (1)  et aussi, voire plus solide que la notre.
Pourtant, la «bonne» société anglaise n'a rien à envier à ses homologues du continent. Elle a le même mépris, voire haine, pour celui qui n'appartient pas à leur monde. J'ai nommé, les Juifs, les homosexuels, les «rouges», j'en passe. Et des Juifs, des homosexuels, des gauchistes, Jo Walton va se faire un plaisir de nous en présenter via ses différents personnages. Une occasion de nous donner à voir l'enfer qu'ils ont tous pu connaître à l'époque et de nous rappeler que, de nos jours, quelques soixante-dix ans après, les choses n'ont pas à ce point évoluées.
Donc, non, pas de fascistes en Angleterre mais  simplement une partie de la société qui en propose une imitation fort réussie. Et puisqu'on parle de société, que je n'oublie pas de dire que tous les personnages sont travaillés avec une minutie jouissive. On se plait à plaindre cette pauvre Lucy qui tombe littéralement de sa chaise au fur et à mesure que l'enquête (et ses propres réflexions) progressent. Dans le même temps, on a tellement envie de la claquer, tellement elle s'est montrée aveugle jusque là. On adore détester sa mère, Lady Eversley, qui va se montrer, au fil des pages, toujours plus abominable. On s'intéresse aussi bien sûr à David Kahn, coupable idéal. Ainsi qu'à Lord Eversley, le père de Lucy, et Carmichael, le policier de Scottland Yard et tous les autres.
A bien y regarder, ce roman est une réussite sur tous les points. Le seul point qui m'a donné un peu de mal, c'est la fin. Ignorant, durant la lecture, qu'il existait une suite, j'ai été un peu surpris par cette fin tellement ouverte, qu'elle pourrait laisser le passage au Queen Elizabeth. Certains arcs narratifs n'ont, à mon sens, pas trouvé de conclusion. Ou alors, pour les considérer comme conclus, il faut une sacré dose d'indulgence.
Telle qu'elle est, en tout cas, et sans trop en dévoiler, cette fin m'a laissé un goût amer. Espérons que la suite nous donnera plus d'occasion de nous réjouir. 
Quoi qu'il en soit, même pris individuellement, ce roman est une pure merveille et je vous invite à le lire, si ce n'est encore fait.
Il est paru en français sous le titre : Le Cercle de Farthing.  
 

(1) Renseignements pris, parce que je suis une bille en Histoire et a fortiori en Histoire Anglaise, la naissance de la démocratie chez nos voisins d'outre-manche, peut être située, soit en 1215 (si, si), au plus tôt, avec la Grande Charte, soit en 1689, au plus tard, avec le Bill of Rights (Déclaration des droits), qui marque le début de la monarchie parlementaire. Soit un siècle pile avant notre Révolution française. 

8 commentaires:

  1. Je suis d'accord avec ta chronique, l'ambiance de ce roman est vraiment très agréable ! Je n'ai pas encore lu la suite, mais ça ne saurait tarder !

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    1. Idem. La suite est prévue, c'est juste que je ne sais pas quand...

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  2. Mais dis donc, tu lis tout en anglais toi maintenant ?
    J'ai beaucoup aimé ce livre et je lirai la suite avec plaisir.

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    1. Oui, comme je l'explique dans ma chronique consacrée à Blindsighted de Karin Slaughter, j'ai décidé de tenter l'expérience du 100% anglais. On verra si je tiens. C'est agréable de se débarrasser du filtre de la traduction.

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  3. C'est un bon polar qui se lit bien, l'aspect "Downton Abbey du côté obscur" est plutôt sympathique. Je compte lire la suite un jour.

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  4. Un bon moment de lecture également pour moi. Ca donne envie de lire la suite! ;-)

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  5. "j'ai été un peu surpris par cette fin tellement ouverte, qu'elle pourrait laisser le passage au Queen Elizabeth." huhu :) Bien vu ! J'ai bien aimé ce premier roman, je m'y suis sentie à l'aise, l'histoire m'intéresse et je trouve que l'uchronie est réussie. Le deuxième tome - où on retrouve Carmichael - propose moins de suspense.

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