dimanche 9 avril 2017

Babylone - Yasmina Reza

Résumé :
« Tout le monde riait. Les Manoscrivi riaient. C'est l'image d'eux qui est restée. Jean-Lino, en chemise parme, avec ses nouvelles lunettes jaunes semi-rondes, debout derrière le canapé, empourpré par le champagne ou par l'excitation d'être en société, toutes dents exposées. Lydie, assise en dessous, jupe déployée de part et d'autre, visage penché vers la gauche et riant aux éclats. Riant sans doute du dernier rire de sa vie. Un rire que je scrute à l'infini. Un rire sans malice, sans coquetterie, que j'entends encore résonner avec son fond bêta, un rire que rien ne menace, qui ne devine rien, ne sait rien. Nous ne sommes pas prévenus de l'irrémédiable. »

Prenez un soupçon de vie de gens ordinaires. Ajoutez-y une pincée de polar. Faites revenir dans une belle langue et vous obtenez Babylone.
L'histoire est toute simple, vraiment simple, mais doit-on rendre une histoire complexe pour écrire un bon roman ? Pour moi la réponse est définitivement non. D'autant que je suis de ceux qui privilégient la peinture réussie de personnages intéressants, voire attachants et qui sonnent juste à une histoire aux nombreuses ramifications mais peuplée d'individus qui ressemblent à des caricatures, auxquels on ne s'identifie pas et dont le destin nous laisse totalement indifférent.
Donc, ici, nous avons quatre, cinq personnages. Ce n'est pas une foule, mais c'est entièrement suffisant. Après tout, dans Robinson Crusoé, les protagonistes ne sont pas pléthore non plus. N'est-ce pas ?
Un immeuble parisien. Nous avons donc Jean-Lino, qui habite au cinquième. C'est un homme d'une soixantaine d'années, petit-fils d'immigrés juifs italiens, doux et discret et qui a la phobie des lieux clos. Lydie, sa seconde femme, est un «genre de thérapeute», dont l'une des passions est le chant, qu'elle exerce, de temps à autre, dans quelques bars ou petits cabarets. Elle a un petit-fils, Rémi, qui loge fréquemment chez sa grand-mère. Il y a Pierre, le mari de la narratrice. Il est gai, facile à vivre, pas bavard et tendre. Enfin, il y a Élisabeth, la narratrice. Elle a soixante ans passés et Pierre et elle habitent au quatrième. Elle est ingénieur brevets à l'Institut Pasteur.
L'histoire que nous raconte Élisabeth est toute simple, comme je l'ai indiqué, et tourne essentiellement autour de ses voisins Jean-Lino et Lydie et autour de Pierre et elle-même. La manière qu'elle a de nous raconter le tout est très proche du mode oral. Non pas tant par le style, qui reste littéraire, encore que tout ce qu'il y a de plus accessible et agréable, mais par sa façon de passer d'un sujet à l'autre, exactement comme dans ces conversations à bâtons rompus.
C'est à mon sens la marque de fabrique du récit. Du moins jusqu'au drame, où la narration devient plus linéaire. Enfin, pas trop longtemps quand même, Élisabeth nous gratifiant de loin en loin de quelques flash-back
 Un petit moment intéressant de la vie d'un immeuble, quelques jours, voire quelques heures.

Très bon. 

Aveu de faiblesses - Frédéric Viguier

Résumé :
« Je suis laid, depuis le début. On me dit que je ressemble à ma mère, qu’on a le même nez. Mais ma mère, je la trouve belle. »
Ressources inhumaines, critique implacable de notre société, a imposé le ton froid et cruel de Frédéric Viguier dont le premier roman se faisait l’écho d’une « humanité déshumanisée ». On retrouve son univers glaçant et sombre, qui emprunte tout à la fois au cinéma radical de Bruno Dumont et au roman social. Mais au drame d’un bourg désindustrialisé du nord de la France, Frédéric Viguier ajoute le suspense d’un roman noir. Dès lors, l’histoire d’Yvan, un adolescent moqué pour sa laideur et sa différence, accusé du meurtre de son petit voisin, prend une tournure inattendue. 

Ce second roman de Frédéric Viguier est une sorte de roman noir social. Roman noir parce qu'on y suit le calvaire d'Yvan, un jeune homme accusé de meurtre et social parce que l'auteur nous ramène constamment à la description de ce petit village du nord, aux quartiers bien séparés. Et même physiquement séparés. Les riches d'un côté, les pauvres de l'autre.
Yvan habite non seulement le village, proprement dit, c'est à dire le côté des humbles, mais en plus il est, si on en croit sa propre description : gros, laid, sans amis. Inutile de dire que lorsqu'il est suspecté du meurtre de l'un de ses petits voisins puis arrêté, on ne peut s'empêcher de penser que le sort s'acharne sur lui.
Lorsqu'on est, comme moi, viscéralement opposé à toute forme d'injustice, on s'indigne très vite de l'attitude inhumaine de la machine policière et judiciaire, jusqu'à en avoir quasiment des douleurs abdominales (bon, j'exagère peut-être un peu). Que ce soit le policier qui voit en Yvan le suspect idéal et qui n'aura de cesse d'obtenir ses aveux, le juge qui est trop content de se voir amener un coupable sur un plateau, l'avocat qui ne croit même pas à l'innocence de son client et Yvan lui-même, par son apathie, sa naïveté, tout contribue à l'incarcération du garçon. 
Une incarcération qui ne se passe pas si mal, tout compte fait, Frédéric Viguier n'ayant pas jugé nécessaire de charger une administration qui est déjà la cible de bon nombre d'auteurs. Mais comme le disait si bien ma prof de philo, visiteuse de prison, même avec tout le confort imaginable (confort relatif, s'entend) le pire dans la prison reste, bien évidemment, l'enfermement, l'absence de liberté de mouvement. En tout cas, pour Yvan, garçon peu exigeant, tout se passe au mieux.
S'ensuivront quelques rebondissements bien vus et ce, jusqu'à la toute dernière ligne qui nous délivre une fin, somme toute prévisible, mais pas mal décoiffante quand même.
Le tout est écrit dans un style extrêmement agréable à lire et les pages défilent à un rythme endiablé. Le roman est court, ce qui fait une raison supplémentaire, s'il en fallait une, pour le lire séance tenante. Et pendant que vous lisez celui-ci, moi j'attaque le premier : Ressources inhumaines. Parce que quand on tient un tel auteur, on ne le lâche pas.

Excellent.

dimanche 2 avril 2017

Jenny - Fabrice Colin

Résumé :
Cayucos, Californie. Dans une villa au bord du Pacifique, un homme désespéré remplit un cahier noir. Dans sa cave, ligotée, une femme obèse, à peine consciente. Avant de la tuer, l’homme veut raconter son histoire.
Quelques mois plus tôt… Un an après la disparition de sa femme, le chroniqueur Bradley Hayden est détruit. Il s’étourdit dans des liaisons sans lendemain via un site de rencontres. Un jour se présente une femme qui ne correspond en rien à la description qu’elle a faite d’elle. Jenny, 300 livres, QI redoutable, lui montre une vidéo de son épouse. April est en vie. Obéis-moi en tout, et elle le restera.
Dès lors, Bradley est contraint de suivre Jenny dans une épopée meurtrière.
Traqués par la police, ils sillonnent le pays, tandis que Ron, le détective privé aux méthodes zen peu conventionnelles, tente de retrouver April.
Pourquoi Jenny tue-t-elle ? A-t-elle choisi April au hasard ? Bradley pourra-t-il retrouver sa femme à temps ?
Entre passé et présent, scandales politiques et cavale meurtrière, déserts brûlants et cités labyrinthiques, un terrible compte à rebours est enclenché, aux portes de la folie.

En cette époque où la mode est (de plus en plus) au thriller, chaque écrivaillon se sentant investit du devoir d'apporter sa pierre, souvent branlante, à l'édifice, cela fait un bien fou de lire, dans le genre, un «véritable» auteur. Je le sais (qu'il est un vrai auteur), depuis la trilogie Winterheim ou À vos souhaits ou Vengeance, autant de livres que je devrais relire pour vous en parler. Mais c'est une autre histoire.
Le genre dans lequel je connaissais l'auteur était la fantasy. Je n'avais encore jamais lu un thriller issu de sa plume, mais je n'étais pas inquiet.
D'abord, qu'est-ce que c'est bien écrit ! Et s'agissant d'un auteur français, on ne peut suspecter un traducteur talentueux d'avoir amélioré le style. Et qu'est-ce que c'est intelligent ! D'aucuns, grognons, diront peut-être que tout n'est pas immédiatement compréhensible... ni après coup non plus, d'ailleurs. Je ne le nie pas. Mais le narrateur n'étant lui-même plus très sûr de ses souvenirs, ni de leur réalité, le récit se trouve empreint d'une certaine confusion tout à fait justifiée.
Un petit bémol dans toutes ces louanges, c'est que le personnage de Jenny, qui a tout de même donné son nom au titre même de l'ouvrage, est moins présent que je ne l'aurais pensé-voulu-souhaité. Mais qu'importe, l'ensemble est une vraie réussite et Fabrice Colin arriverait à nous faire croire qu'il est né et a toujours vécu aux États-Unis. C'est fort. Très fort.

Très bon.

Cet été là - Lee Martin

Résumé :
Tout ce qu'on a su de cette soirée-là, c'est que Katie Mackey, 9 ans, était partie à la bibliothèque pour rendre des livres et qu'elle n'était pas rentrée chez elle. Puis peu à peu cette disparition a bouleversé la vie bien tranquille de cette petite ville de l'Indiana, elle a fait la une des journaux nationaux, la police a mené l'enquête, recueilli des dizaines de témoignages, mais personne n'a jamais su ce qui était arrivé à Kathy.
Que s'est-il réellement passé cet été là ?
Trente ans après, quelques-uns des protagonistes se souviennent.
Le frère de Katie, son professeur, la veuve d'un homme soupçonné du kidnapping, quelques voisins, tous prennent la parole, évoquent leurs souvenirs. Des secrets émergent, les langues se délient.
Qui a dit la vérité, qui a menti, et aujourd'hui encore, qui manipule qui ? 

Cet été là, c'est l'histoire d'un drame. D'un drame épouvantable. Sans doute le plus épouvantable des drames. La disparition d'une fillette. Autour de ce fait divers, l'auteur nous raconte un été caniculaire dans une petite ville des États-Unis, au travers du témoignage de plusieurs des protagonistes.
Ce roman est un roman sur la culpabilité, le mensonge, la dissimulation, les différences de classe sociale. C'est un portrait réussi d'une petite ville des États-Unis et de ses habitants, un genre romanesque dont beaucoup d'auteurs américains se sont fait les champions. J'ai toujours beaucoup de plaisir à voir vivre sous la plume d'un bon auteur ces microcosmes passionnants. 
Et de bon auteur, Lee Martin en est un, assurément. Son style est agréable et ses personnages particulièrement fouillés. Quant à l'histoire, elle nous est livrée de façon parcellaire, sous forme d'un puzzle que nous tentons de reconstituer, chacun des personnages s'exprimant tour à tour et nous livrant sa version des faits. La reconstitution est d'autant plus difficile (et c'est bien là l'intérêt de la chose), que les pièces qui nous sont fournis sont parfois minuscules, voire insignifiantes, ou bien fausses et ne rentrant pas à leur emplacement, les mensonges étant nombreux. Les allers-retours dans le temps  sont fréquents. Enfin, certaines pièces ont un contour flou, les faits remontant à plus de trente ans et les protagonistes ayant à faire des efforts de mémoire.
Nous sommes donc tenus en haleine du début à la fin. Une fin dont le lecteur sent bien très vite qu'elle ne sera pas heureuse. Dès lors, ce qu'on attend du dénouement, c'est qu'il nous apporte les réponses à toutes les questions que nous nous posons.
Paradoxalement, les amateurs de thriller pourront être déçus le livre ne rentrant finalement pas forcément dans cette catégorie. D'abord parce qu'il est bien écrit et que ce n'est pas toujours le cas des thrillers qui sont devenus en quelques années le nouveau genre à la mode et que tout le monde veut s'y essayer; ensuite parce que je le vois plutôt comme une magnifique étude d'un groupe humain.
Quoi qu'il en soit, Lee Martin est, selon moi, un auteur à suivre. Incontestablement.

Excellent. Coup de cœur
 

samedi 1 avril 2017

Sa Majesté des Mouches - William Golding

Résumé :
Soit un groupe d'enfants, de six à treize ans, que l'on isole sur une île déserte. Qu'advient-il d'eux après quelques mois? William Golding tente l'expérience. Après les excitantes excursions et parties de baignade, il faut s'organiser pour survivre. C'est au moins la réflexion de Ralph, celui qui fut élu chef au temps heureux des commencements, et du fidèle Piggy. Mais c'est ce que refusent de comprendre Jack, le second aspirant au "trône", et les siens. Cette première division clanique n'est pas loin de reproduire un schéma social ancestral. S'ensuivent des comportements qui boudent peu à peu la civilisation et à travers lesquels les rituels immémoriaux le disputent à une sauvagerie d'une violence sans limite. 

Je n'avais pas encore lu ce grand classique. La lacune est désormais comblée. Décidément, il va falloir que je copie ces deux phrases, ou leurs petites sœurs, quelque part et que j'en fasse des copié/collé tant je les utilise. En même temps, quand on aime lire et qu'on n'a qu'une seule vie, comme la plupart des gens (je ne connais pas d'exception, mais allez savoir), on se retrouve souvent dans cette situation de ne lire que tardivement ce que d'aucuns ont déjà lu, voire relu, depuis longtemps. Mais il faut bien une première fois. Passons.
Le roman est classé en littérature jeunesse. Disons-le tout de suite, il est parfaitement lisible pour un adulte. La violence de certaines situations pourraient même le destiner à des lecteurs avertis. Mais rien de gore, rassurez-vous. En définitive, tous les lecteurs, quel que soit leur âge, y trouvent leur compte.
Le style est agréable et le texte se dévore littéralement. Je n'aurais qu'un petit reproche à faire aux dialogues qui sont parfois malaisés à suivre. Les enfants (puisqu'il n'y a que des enfants dans l'histoire) ont souvent des répliques qui semblent sans rapport avec ce que leur interlocuteur vient de leur dire. C'est parfois déroutant. Mais c'est peut-être une façon pour l'auteur de nous indiquer que chacun est perdu dans ses propres pensées et n'écoute pas vraiment ce qu'on lui dit. Peut-être.
Les efforts faits par le groupe pour s'organiser et survivre sont intéressants à suivre même si l'auteur ne montre absolument aucun optimisme. Le lutte entre les «raisonnables» et les «sauvages» tourne vite à l'avantage des seconds qui deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que le temps passe.
Les premiers sont représentés essentiellement par Ralph et Piggy (Porcinet). Ralph devient vite le chef du groupe et symbolise la démocratie, les règles. Piggy symbolise le savoir mais il est gros, myope et asthmatique, trois caractéristiques qui le font mépriser par le reste des enfants, malgré son intelligence supérieure. De l'autre côté il y a  Jack, ex chef de la maîtrise du collège et qui devient chef des chasseurs. Il symbolise le guerrier et accessoirement, le brutalité et la violence.
Très vite, donc, la raison et le bon sens vont devoir s'incliner devant l'envie de s'amuser qui anime de plus en plus d'enfants, qui vont préférer n'écouter que leur instinct quitte à réduire à néant les chances d'être retrouvés et secourus.
J'ai peur d'être assez proche de l'idée que Golding se fait de l'humanité. Livrés à eux-même et sans les garde-fous de la société, les humains, et particulièrement les plus jeunes, sont probablement plus enclins à ne suivre que la loi du plus fort, quitte à mettre le groupe tout entier en danger.
Laissez dans une société de la place pour les peurs, les superstitions, la haine et nul doute que ces maux la submergent rapidement et la rendent incapable de protéger les plus faibles, les plus vulnérables et au final, de se protéger elle-même.

Très bon.