Quatrième de couverture
Dans le royaume de Skala régi par des reines-guerrières, le prince Erius s'empare du pouvoir et élimine toutes les prétendantes au trône, sauf une, sa sœur enceinte de jumeaux. À leur naissance, deux mages et une sorcière sacrifient l'enfant mâle et transforme la petite fille en lui donnant l'apparence de son frère mort. C'est le seul moyen d'assurer l'avenir du royaume désormais ravagé par les épidémies, les famines et menacé par de puissants ennemis. Élevée comme un garçon, Tobin grandit en ignorant sa nature et sa véritable destinée.
Alors, sachez d'emblée que cette saga est un véritable coup de cœur pour moi. Non seulement parce que j'en ai beaucoup aimé faire la lecture, ce qui est la moindre des choses que l'on peut supposer d'un coup de cœur, mais également parce que je me suis lancé dans cette trilogie sans en rien savoir, simplement guidé par mon instinct, qui est loin d'être infaillible. Mais cette fois-ci, il a bien fonctionné. Je me fais l'effet d'être un chercheur d'or qui découvre, au milieu d'un tas de cailloux sans intérêt, une pépite.
J'ai été tenté d'établir une comparaison entre l'œuvre de Flewelling et celle de Robin Hobb. Mais j'ai vite compris les limites d'un tel exercice. L'un des seuls vrais points communs entre les deux auteures c'est d'être des femmes. Et, à moins d'être persuadé qu'il existe une littérature féminine à opposer à une littérature masculine, sans aucun pont entre les deux, cela fait bien mince. Tout juste pourra-t-on dire que, à l'instar de Hobb, Flewelling a le souci du détail, le goût de la description et un certain talent à nous livrer les secrets les plus intimes de ses personnages. Mais, n'en dirions-nous pas autant de Georges Martin ? La comparaison devra sans doute s'arrêter là. D'ailleurs, ne comptez pas sur moi pour vous garantir qu'ayant aimé ce qu'écrit Hobb vous aimerez cette saga de Flewelling, ni que, ayant détesté les textes de l'une vous détesterez ceux de l'autre. Je ne pourrais rien vous conseiller d'autre que de tenter l'aventure et je vais tâcher de vous donner dans les lignes qui suivent des éléments susceptibles de vous aider à vous décider. Ou pas.
Et pour commencer, j'invite tous ceux qui : aiment les grandes batailles épiques, préfèrent l'action aux dialogues, ne peuvent envisager un roman de fantasy sans sa cohorte de gros bourrins dopés à la testostérone; j'invite tous ceux-là à passer leur chemin. Et a lire du Gemmell.
Parce que en héros viril, Tobin ne fait pas tout à fait l'affaire. Puisque c'est une fille transformée, par sorcellerie, en garçon. C'est l'une des bonnes trouvailles de Flewelling et qui lui permet d'aborder nombre de sujets comme : l'identité, la confusion des sexes, l'ambigüité des sentiments, l'homosexualité, la sexualité, le poids du secret ...
Mais si Tobin est incontestablement le héros (héroïne) de l'histoire, il n'en est pas moins accompagné d'une galerie, ma foi bien étoffée, de personnages. On pourrait se croire (presque) dans Le Trône de Fer. Et cela ajoute incontestablement beaucoup de réalisme à la série. Car autant on ne peut imaginer l'histoire d'un royaume sans son roi ni ses nobles, autant on ne peut l'imaginer non plus privé de ses écuyers, de ses pages, de ses capitaines d'armée, de ses domestiques ... Et c'est ainsi qu'une pléthore de personnages prennent vie sous la plume de Flewelling. Le casting est assez impressionnant.
En particulier pour certains groupes bien fournis et dans lesquels quelques personnages ne jouent qu'un rôle secondaire mais dont la présence donne beaucoup de corps au récit. Je pense notamment aux Compagnons du Roi ou à l'Orëska (sorte de fédération des magiciens).
Aucun des personnages n'est tout à fait blanc ou tout à fait noir. La plupart d'entre eux ont une part d'ombre, ne serait-ce qu'infime. D'ailleurs, certains parmi les "gentils" ont des choses à cacher. Même Tobin, qui est en apparence le type parfait du héros positif, montre parfois sa détermination de façon musclée et peut, à l'occasion, se révéler impitoyable. Seul petit bémol dans la composition des personnages, j'ai trouvé que le principal "méchant" n'était pas assez présent. Même si ses manigances ont des conséquences manifestes. On pourrait croire que Flewelling ne s'est pas assez intéressé à un personnage aussi noir. Elle a sans doute préféré montré comment ses agissements sont de nature à pervertir la meilleure part des personnages que sa malveillance à pris pour cible.
Quant à l'histoire en elle-même, elle bénéficie de quelques jolies trouvailles de l'auteure qui lui confère une certaine originalité même si, dans l'ensemble, par bien des aspects, elle reste classique. Il y a essentiellement ce dont j'ai déjà fait mention, à savoir la métamorphose, dès sa naissance, de Tobin, devenue un garçon. Les premières conséquences sont tout d'abord les problèmes d'identité de Tobin qui, ignorant tout des circonstances exactes de sa naissance, est persuadé d'être un garçon. Sauf qu'il a très envie de jouer à la poupée ce qui est bien perturbant, surtout lorsqu'on a un père qui le prend très mal. Deuxième conséquence assez indirecte mais néanmoins d'importance, c'est l'existence de l'esprit malveillant du frère sacrifié de Tobin et qui ne cessera de le hanter. Entre ces secrets qui pourrissent la vie de pas mal de gens et ce fantôme encombrant, l'atmosphère du roman se révèle finalement assez lourde. Pour le coup, on est assez loin de la (relative) légèreté des écrits de Hobb. Sans compter que la révélation du véritable sexe de Tobin pourrait lui coûter la vie, le roi en place étant prompt à se débarrasser de toute sa parentèle féminine.
L'écriture de Flewelling est agréable et sa lecture est déconcertante de facilité. La traduction est assurée par Jean Sola celui-là même qui a assuré la traduction du Trône de Fer. Je sais que d'aucuns n'apprécient pas son travail. Tout juste pourrais-je lui reprocher, dans le Flewelling, l'usage de termes familiers, très familiers, voire argotiques, tant dans le texte que dans certains dialogues et qui sonnent un peu faux, qui n'ont pas l'air d'être à leur place. J'ai l'intuition (mais aucune certitude) que le texte original ne présente pas la même familiarité. Mais en dehors de ces écarts de langage, le texte français m'a semblé plutôt réussi.
Même si, ainsi que j'ai déjà pu le dire, l'action n'est pas vraiment au cœur du roman, il n'en est cependant pas dénué et les scènes de combat ou de bataille, si elles sont assez rares, sont à chaque fois parfaitement bien rendues et, ce qui n'est pas si fréquent, assez faciles à suivre. En tout cas, il se passe toujours quelque chose au royaume de Tobin, même si ce n'est parfois que dans les têtes des personnages. L'auteure nous gratifie en outre de surprises assez nombreuses, les évènements prenant souvent des tournures inattendues et bon nombre de personnages disparaissant prématurément au regard des codes habituels. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le récit est tout sauf convenu.
En résumé, Le royaume de Tobin est une œuvre forte, belle, intelligente mais aussi sombre et pas dépourvue de violence. Agrémentée d'une magnifique galerie de personnages fort attachants ou diablement détestables. Et si, tout compte fait, Flewelling ne se rapprochait pas tant d'une Robin Hobb que d'un Georges R.R. Martin ? Je sais, c'est gonflé ce que je dis, mais j'assume. Je ne suis pas sûr d'avoir trouvé les mots pour rendre le plaisir que j'ai eu à lire cette histoire et c'est dans un moment comme celui-ci que je prend véritablement conscience des limites de l'exercice que je m'impose à chacune de mes chroniques. Qu'il est difficile de traduire en termes les plus objectifs possibles les sentiments, si subjectifs par nature, que nous a procuré la lecture d'un livre. Voilà, j'ai aimé. Beaucoup. Que dire de plus ?
Ah bah si. Que c'est une trilogie en six volumes (cherchez l'erreur. Merci encore aux éditeurs français) et que ça n'a donc rien d'insurmontable à lire.