jeudi 28 mai 2009

Janua Vera - Jean-Philippe Jaworski

Né du rêve d'un conquérant, le vieux royaume n'est plus que le souvenir de sa grandeur passée… Une poussière de fiefs, de bourgs et de cités a fleuri parmi ses ruines, une société féodale et chamarrée où des héros nobles ou humbles, brutaux ou érudits, se dressent contre leur destin. Ainsi Benvenuto l'assassin trempe dans un complot dont il risque d'être la première victime, Ædan le chevalier défend l'honneur des dames, Cecht le guerrier affronte ses fantômes au milieu des tueries… Ils plongent dans les intrigues, les cultes et les guerres du Vieux Royaume. Et dans ses mystères, dont les clefs se nichent au plus profond du cœur humain…
Jean-Philippe Jaworski met une langue finement ciselée au service d'un univers de fantasy médiévale d'une richesse rare. Entre rêves vaporeux et froide réalité, un moment de lecture unique. Janua vera a été récompensé par le prix du Cafard Cosmique 2008.

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! (soupir de ravissement). Quel bonheur !
Je sais bien que tout a déjà été dit sur ce recueil de nouvelles et bien mieux que je ne saurais le faire. Mais n'écoutant que mon courage, je vais tenter à mon tour de faire souffler vers vous le vent d'enthousiasme pauvre écho de l'ouragan de pur bonheur né en mon sein à la lecture de cet ouvrage magnifique.
Et là, je pèse mes mots.

Commençons par le commencement. Par les choses qui fâchent. Comme d'autres l'ont dit, la première nouvelle, Janua Vera, qui a donné son nom au recueil, éponyme donc comme disent les savants, est la plus faible du lot. Curieusement. Elle m'a fait penser aux pires pages de Moorcock quand celui-ci nous fait partager les états d'âme de ses héros fatigués et fatigants. On a le sentiment que Jaworski a décidé de faire un truc chiant et comme il a beaucoup de talent, il y est parvenu. Chapeau donc. Mais ce sera le seul vrai bémol de l'ensemble.

Ensuite, ce n'est que du bonheur. Tout, y compris la première nouvelle, est écrit dans une langue magnifique propre à donner le frisson aux amateurs de belles pages (et accessoirement des boutons aux autres). Ce recueil est un véritable exercice de style dans lequel chaque récit évoque des expressions, des tournures de phrase, une écriture propre à l'univers qui y est décrit.

Bien entendu, tout n'est pas exactement du même niveau. Un certain nombre de nouvelles ont ma préférence. Je pense notamment à :

Mauvaise donne,
Le service des dames,
Le conte de Suzelle,
Jour de guigne.

Mauvaise donne nous narre l'histoire d'un assassin dans une pseudo Venise de la renaissance confronté à une machination politique qui le dépasse. Elle est la plus longue et, par conséquent, la plus aboutie des nouvelles du recueil. Je ne suis pas autrement surpris qu'elle ait donné lieu à une sorte de suite avec Gagner la guerre (dont j'attends la sortie en poche avec impatience). Elle est sans conteste mon coup de coeur malgré son côté plus "classique" que les autres. Ou peut-être à cause de ça. On a en effet le sentiment d'être ici en terrain connu, familier.

Dans Le service des dames, nous suivons les aventures d'un chevalier noble de chez noble, que même à côté de lui Bayard fait figure de voyou. L'auteur aurait pu tomber dans deux écueils possibles. Soit faire une pale copie des oeuvres légendaires du genre en nous offrant un remake des aventures de Lancelot, Perceval ou Galaad, soit prendre le contre-pied total de ces grands héros en nous gratifiant d'une figure d'affreux. dans un cas comme dans l'autre, il risquait la caricature. Au lieu de cela, il a choisi de faire de son chevalier un homme qui place l'honneur au-delà de tout, mais jusqu'à l'absurde. Et là où une créature du 21ème siècle comme vous et moi se serait trouvé quitte, notre chevalier persiste à vouloir payer ses dettes d'honneur. Grandiose.

Le conte de Suzelle est l'histoire d'une paysanne comme on n'en voit jamais en fantasy, dans la mesure où elle et ses congénères sont insignifiants face à la grande Histoire. Le propos est, forcément, s'agissant d'un personnage d'une condition sociale plus que modeste, très ordinaire. L'extraordinaire est plutôt à chercher dans l'exceptionnelle qualité documentaire du récit ainsi que dans l'espèce d'elfe dont Suzelle attendra le retour toute sa vie.

Enfin, Jour de guigne nous narre les mésaventures d'un petit scribe sans envergure soudain confronté à une terrible malédiction. C'est du Pratchett tout craché. Et encore davantage que dans Pratchett, peut-être, l'absurde est savamment dosé pour ne pas devenir trop pesant. C'est très drôle, mais très fin et sans jamais nuire à l'intérêt de l'histoire.

Le reste, vous l'aurez compris, à un petit peu moins excité mon intérêt. Mais il n'en reste pas moins d'une qualité largement au-dessus de la moyenne. Il est juste, à mon sens, un cran au-dessous de mes favoris. Il s'agit de :

Une offrande très précieuse,
Un amour dévorant,
Le confident.

Le premier nous raconte l'histoire d'un guerrier hanté par de tragiques souvenirs et bientôt dégouté des tueries. C'est un peu trop "heroic-fantasy" à mon goût. Je vais finir par croire que ce genre n'est vraiment pas ma tasse de thé.
Le deuxième, lui, nous parle d'un village dont la forêt est hantée, la nuit, par de terribles revenants. Le traitement, genre enquête policière, afin de trouver l'identité des spectres est assez originale mais le tout s'est révélé assez peu accrocheur.
Le troisième, enfin, n'a de vrai intérêt que par sa chute et aurait sans doute gagné à être raccourci. On imagine ce qu'aurait pu en faire Fredric Brown, le maître de la short-short-story.

Autres critiques :


P.S. J'ai découvert avec stupéfaction et horreur aussi, que la nouvelle que j'ai commise et publiée dans mon blog relate des évènements très, très semblables à ceux de Jour de guigne. Or, je n'avais pas lu Janua Vera avant d'écrire mon texte. Il s'agit là d'une coïncidence fort troublante. Serais-je victime, à mon tour, du Syndrome du Palimpseste ?

1 commentaire:

  1. C'est vraiment une merveille ce recueil, j'ai énormément aimé aussi Conte de Suzelle, et Jour de Guigne, ainsi que Mauvaise Donne.
    L'écriture de Jaworski est juste stupéfiante.

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