samedi 27 février 2010

La Route - Cormac McCarthy

Un homme et son fils marchent sur une route dans une Terre dévastée par on ne sait quelle catastrophe. Un soleil éternellement voilé a laissé s'installer un hiver perpétuel. Craignant que le climat ne leur soit fatal, le père décide de partir vers le sud. Mais quel espoir les attend dans ce monde dont la faune et la flore ont disparu et dont les rares humains restant sont animés d'intentions peu bienveillantes ? Avec la pénurie de nourriture est apparu un nouveau fléau : le cannibalisme.

Jacques Prévert a écrit : " Si le rire est le propre de l'homme, le sale n'est pas de pleurer. Sauf si on le fait exprès. " Le faire exprès n'a pas été mon cas. Pourtant j'en ai versé des larmes. Des vraies. Des qui mouillent.

La faute d'abord au style de l'auteur. Beaucoup de phrases courtes alternant avec des phrases plus longues mais hachées par une abondance de la conjonction et mise là souvent en guise de virgule, souvent absente, elle. Aucun tiret de dialogue. De sorte que les conversations entre le père et le fils se noient en quelque sorte dans le reste du texte. Du coup nous sont épargnés les sempiternels : dit-il, répondit-il, ajouta-t-il, qui parsèment habituellement les dialogues dans les romans. On a le sentiment qu'en renonçant à ces petits mots parasites, l'auteur-narrateur s'efface au profit des mots de ses personnages. En revanche l'auteur use et abuse de certains mots destinés à bien nous pénétrer de l'ambiance qu'il entend poser. C'est ainsi que l'adjectif gris ou le substantif cendres, pour ne prendre que ces exemples, reviennent régulièrement. Pour ainsi dire à chaque page. Le texte est enfin composé de paragraphes extrêmement courts qui sont autant de cailloux déposés sur la route. Chacun d'eux décrit un moment de vie de l'homme et de l'enfant. Parfois, trop rarement, heureux, le plus souvent sans joie. Ce style peut dérouter. Je n'y ai vu que le reflet du monde dans lequel les personnages évoluent : dépouillé à l'extrême, empreint d'urgence.

La faute aux personnages ensuite. Ce père et ce fils. Ils sont tellement, oh oui, tellement, tellement attachants. Lui, l'homme, n'a plus qu'un moteur, qu'une seule raison de vivre, c'est l'enfant. Et il ne s'agit pas d'une formule, d'une façon de parler. Préserver la vie du gamin est la seule et envahissante obsession du père. Et préserver son âme également. Lui enseignant tout ce qui fait d'eux, selon lui, des gentils. Tentant de garder vivante la petite flamme au fond du gamin qui garantit qu'avec lui l'humanité n'a pas encore tout à fait disparue. L'enseignement du père consiste en de courts dialogues à l'issue desquels il tente d'obtenir l'assentiment du petit. Des dialogues qui finissent immanquablement par des : d'accord. D'accord. Comme les paroles magiques d'un rite secret qu'ils sont seuls à partager. L'enfant lui tente vainement d'imaginer le monde d'avant dont lui parle son père, de moins en moins souvent. Il ne s'agit pour le petit que d'un rêve inaccessible et fou. Ils errent ainsi, chacun étant tout pour l'autre. Contraints de faire face quotidiennement à la faim, au froid, à la peur. Parce que dans ce monde dans lequel la vie a été éradiquée, l'homme seul s'obstine à s'accrocher à l'existence. La plupart des humains survivants n'hésitent devant aucun moyen pour manger. Pas même le cannibalisme. L'homme est devenu pour de bon un loup pour l'homme. 

La faute à l'histoire enfin. Ici pas d'actions spectaculaires. Rien que des petits gestes banals mais devenus extraordinaires dans un quotidien qui a changé de visage. La joie du père en trouvant une canette de soda épargnée par les pilleurs, une réserve d'eau fraiche, quelques pommes quasi pourries. L'horreur face à la violence de ceux qui ne reculent devant rien pour survivre. La morsure du froid. La fatigue de la marche. La peur des "méchants". La dureté dont il faut faire preuve devant la misère des autres. Le désespoir face à cette planète sans vie. La Route devrait être obligatoire dans les écoles dans le cadre d'une prise de conscience écologique. Ne serait-ce que pour montrer que la vie sur Terre n'est pas un dû, ne va pas de soi. Mais qu'elle est le résultat d'un équilibre fragile.

Je ne vous révèlerai bien sûr pas le destin du père et du fils. Ca n'a d'ailleurs aucune importance en l'occurrence. Car ce dont il est question tout au long du roman c'est, ni plus ni moins, l'avenir de l'humanité. Et de ce point de vue, rien n'engage vraiment à l'optimisme. Les scientifiques s'accordent à dire que la vie sur Terre est le résultat d'une série d'accidents improbables. Des miracles successifs diront certains. Toujours est-il qu'il suffit d'un nouvel accident majeur pour que cette vie disparaisse de la surface de la planète en quelques années. Le temps d'un clignement d'oeil.

La Route est un roman poignant et magnifique, insoutenable et indispensable. C'est, sans le moindre doute, le meilleur livre d'un point de vue littéraire que j'ai eu l'occasion d'aborder dans le cadre des lectures du Cercle d'Atuan.

Alors vous lirez ce livre ?
Mais ça à l'air tellement triste.
Oui mais c'est beau.
Comment est-ce que ça peut être beau si c'est si triste ?
Parce que ça ne parle que d'amour. Finalement.
D'accord.
D'accord.

Les avis des amis du Cercle d'Atuan.

5 commentaires:

  1. Très beau billet mon aminche. Je vois que je ne suis pas le seul a avoir été happé par la puissance de l'évocation et la force de la démonstration.

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  2. Merci l'aminche.
    C'est pourtant vrai que ce fut un grand moment de lecture.

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  3. Honte à moi, je ne l'ai pas encore lu...

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  4. blog(fermaton.over-blog.com), L'aube de fondation d'Isaac Asimov réalisée.

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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