Voici la vie d'Eylir Ap'Callaghan, telle qu'elle nous est contée par celui qui allait finir par devenir son chroniqueur officiel. Ou devrait-on dire : les vies, tant il est vrai que ce que nous livre le narrateur est le résultat des nombreux récits qu'il a rassemblé au fil du temps auprès de tous ceux qui ont côtoyé Eylir et qui sont comme autant de vies d'un même homme. Fils d'un chef de clan, frère d'un roi, le destin du jeune Eylir semble tout tracé. Et pourtant ...
La première fois que notre chroniqueur entend parler des Callaghan c'est au cours d'une soirée dans une taverne où il écoute le récit, fait par Kyle, le barde, des conquêtes d'Allander Ap'Callaghan, demi-frère d'Eylir, qui va devenir roi des Keltes. Il va ensuite, après avoir rencontré Kyle, se lancer dans une poursuite obsessionnelle et sans fin d'Eylir, qui va exercer une fascination extrême sur lui.
C'est donc ainsi qu'après avoir suivi l'extraordinaire et fulgurante ascension d'Allander, nous allons nous attacher à la destinée de son demi-frère Eylir, hanté par les mêmes rêves de conquête. Et tandis qu'on s'attend à ce que Eylir marche tout droit dans les pas de son frère et que se répètent, comme un simple copié-collé, les mêmes évènements que ceux que nous avons déjà lus quelques pages plus tôt, Laurent Kloetzer nous ménage une surprise qui, non seulement nous prend à contre-pied, mais relance aussi un intérêt qui aurait fort risqué de faiblir. A partir de là s'enchainent récits sur récits nous narrant les aventures d'Eylir. Chaque récit étant la plupart du temps le fait d'un personnage différent il présente non seulement un moment différent de la vie d'Eylir mais également une facette particulière du héros. L'ensemble de ces récits n'est pas sans évoquer, de ce fait, un recueil de nouvelles. Encore que l'homogénéité est assurée par le fait que l'on parle toujours de la même personne. Toutefois, tout comme dans un recueil de nouvelles, la qualité de chaque narration est inégale. Si la plupart des passages sont excellents, il est vrai que certains d'entre eux sont un peu plus faibles. D'autant qu'Eylir passe par une succession de conditions qui peuvent ne pas revêtir le même intérêt pour chacun d'entre nous. Il est en effet tour à tour : chef de guerre, mendiant, soldat, bandit et j'en passe.
Pourtant, petit à petit, commence à naître chez le lecteur la même fascination pour Eylir que celle ressenti par le narrateur. Comme ce dernier, nous accueillons et lisons avec avidité les nouvelles de notre héros. Tout comme le narrateur, nous désespérons chaque fois que celui-ci perd la trace d'Eylir et chaque fois, nous nous réjouissons lorsqu'il découvre un nouveau témoin qui va pouvoir nous donner des informations, toujours plus fraiches, sur celui que nous suivons comme dans un jeu de piste. Le tout fait d'ailleurs parfois penser à une enquête à laquelle se livrerait le narrateur.
L'ensemble est animé d'un souffle épique qui n'est pas sans évoqué les plus belles pages de la mythologie. Il y a du Ulysse dans cet Eylir. Si, si.
Disons un mot du décor. Une carte au début du livre nous révèle que le continent à l'est, pays des Keltes (Keltes=Celtes ?)dont sont originaires le père et le demi-frère d'Eylir, ressemble comme deux gouttes d'eau à notre Europe. Tandis que l'empire Atlan, à l'ouest, patrie de sa mère, évoque, avec moins d'évidence, le continent américain. Mais pour que tout ne soit pas si simple, l'auteur à fait des peuples de la pseudo-europe, si ce n'est des barbares, disons des gens d'un niveau de vie comparable à celui des hommes de l'antiquité, au mieux du haut moyen-âge; tandis que les atlans en sont à la renaissance et possèdent même des machines à vapeur.
Et même s'il est (parfois) question de conquêtes guerrières, l'auteur ne nous accable jamais avec des récits de batailles interminables. Ce qui intéresse Kloetzer c'est davantage le destin individuel d'Eylir et de ses compagnons que les grands moments d'histoire qu'ils traversent quand ils ne les provoquent pas. Si le roman était un film, il serait davantage fait de plans rapprochés que de plans larges.
Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce livre même s'il est, objectivement, très long. Plus de 750 pages, il faut assurer. Kloetzer (né en 1975) fait partie d'une génération d'excellents écrivains français de fantasy comme Fabrice Colin (1972), Jean-Philippe Jaworski (1969), Pierre Pevel (1968), Michel Pagel (1961), pour ne parler que de ceux que j'ai lu, qui donnent un sang neuf au genre et n'ont pas à rougir, oh non, face à la marée anglo-saxonnes. D'autant que nos compatriotes nous gratifient le plus souvent de roman en un seul volume ce qui fait du bien face à la mode des sagas en 150 tomes.
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