J'avais réalisé une première chronique de ce livre en avril 2009. Le moins que l'on puisse dire, c'est que je n'avais pas vraiment accroché
(cliquez-ici). Mais comme je l'expliquais alors, j'étais certain de redonner une seconde chance au roman. Aussi, lorsque la lecture commune du Cercle d'Atuan a été l'ouvrage de Catherine Dufour, j'ai sauté sur l'occasion pour me refaire une nouvelle idée à son sujet. J'ai un
credo : « ne jamais dire d'un livre qu'il ne nous plait pas sans avoir essayé de le lire ». Eh bien je vais encore plus loin en relisant un livre que je n'ai pas aimé (et pas fini surtout). Et bien m'en a pris.
Peut-être que le fait de faire une lecture collective, jalonnée et étirée sur un mois est pour quelque chose dans l'engouement que j'ai éprouvé cette fois-ci. Une lecture collective permet d'échanger des réflexions et d'éclairer des zones d'ombre. Bien utile lorsque tout n'est pas immédiatement clair dans un récit. S'imposer des étapes permet de ne pas aller trop vite, de prendre son temps pour digérer une partie avant de s'attaquer à la suivante. Enfin, une lecture sur un mois permet de prendre son temps, de lire sans précipitation.
Et toutes ces conditions sont bien utiles lorsqu'on s'attaque à un roman comme celui-ci. Comme je l'indiquais dans ma première chronique, le texte est exigeant, mais alors que cela m'agaçait à l'époque j'ai pu apprécié cette fois un style taillé dans le diamant. Des constructions de phrases, d'idées pas banales, des pensées qui font mouche, du bonheur. On a souvent l'impression de lire de la littérature blanche et cette impression est renforcée par le fait que, même les éléments appartenant au futur sont présentés de telle façon qu'on ne les appréhende plus comme futuriste. La forme épistolaire est pour beaucoup aussi dans le sentiment d'intemporalité qui s'élève de la lecture. La narratrice fait de plus d'incessants allers-retours entre son passé et son présent.
Malgré tout, le roman est un véritable ouvrage de Science-Fiction. Que les fans du genre soient rassurés. On peut sans aucun doute trouver plusieurs clés de lecture. Moi j'y ai vu essentiellement un plaidoyer écologiste assez noir. Le ton n'est jamais moralisateur, militant, prosélyte. Le texte n'a rien d'un tract ennuyeux, culpabilisant. L'auteure, à travers la narratrice, dresse simplement le portrait consternant du monde tel qu'elle l'imagine. Et sans faire trop d'effort, on admet volontiers que cette vision est possible pour ne pas dire probable. La longue lettre de la narratrice est à voir comme un message venu du futur et qui nous dirait : « Vous faites comme vous voulez, je ne vous oblige pas à vous préoccuper de la planète, mais voilà à quoi elle pourrait bien ressembler si vous ne faites rien. »
De fait, ce monde-là ne fait pas trop envie. La plupart des espèces animales ou végétales ont disparues. Quand on voit la vitesse à laquelle elles disparaissent en effet sous nos yeux, rien de bien étonnant. C'est à tel point que la narratrice met des majuscules à tous les noms d'animal ou de végétal et les supprime à tous les noms d'humain et de ville. Un dernier hommage peut-être à ce qui a disparu et l'affichage de son mépris envers le responsable ?
Au niveau social, l'univers décrit n'est pas mieux loti. Les plus fortunés habitent dans les étages supérieurs de gigantesques tours, des sortes de monades urbaines (hommage à Silverberg (1) ), tandis que les plus modestes occupent les premiers étages. Quant aux miséreux, aux marginaux, aux nouveaux pestiférés, ils sont relégués aux sous-sol où ils tentent de survivre tant bien que mal. Entre les deux, c'est à dire au niveau du sol, le no man's land.
Je pourrais probablement vous parler du livre pendant des pages mais en réalité, il est proprement inracontable. Il ne peut s'apprécier qu'à la lecture, mes tentatives pour vous faire partager le plaisir que j'ai eu à le lire ne pourront qu'être vaines. Alors, si j'ai un conseil à vous donner, si vous tentez l'aventure, c'est de prendre votre temps pour bien savourer chaque phrase, chaque mot. Et de lire dans le calme. Ce texte ne supporte pas la moindre baisse de la concentration. Mais pour ceux qui sauront le savourer, quel bonheur !
Impossible de parler de ce roman sans citer quelques phrases :
La réalité se laisse moins mal regarder, mais elle est pire.
Ce n'est pas un sujet qui peut se passer de mensonge.
Tenir dans une case, c'est toujours faire partie de l'humanité.
Vieillir c'est simplifier.
Pour eux, un spectre n'est qu'un signe extérieur de richesse: il prouve surtout qu'on a les moyens de mettre un château autour.
La vie est une drogue terrible.
Quatrième de couverture :
Mandchourie, en l'an 2213 : la ville de Ha Rebin dresse des tours de huit kilomètres de haut dans un ciel jaune de pollution. Dans les caves grouille la multitude des damnés de la société, les suburbains. Une maladie qu'on croyait éradiquée réapparaît. Cmatic est chargé par une transnationale d'enquêter sur trois cas. Une adolescente étrange le conduira à travers l'enfer d'un monde déliquescent, vers ce qui pourrait être un rêve d'immortalité. Mais vaut-il la peine d'être immortel sur une Terre en perdition ?
Ils en parlent :
(1) Je ne saurais trop vous conseiller de lire Les Monades Urbaines de Robert Silverberg.